Voyage dans l’Empire des débuts

Date
 17 mai 2013
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A plusieurs lieues de ce qui formait un canal, je m’engageais dans un relief dont on disait que si l’on en suivait la piste, s’y pouvait croiser une présence particulière, objet de curiosité. Après un petit parcours je constatais que la végétation semblable à celle qui longeait les eaux était, me semblait-il, comme cultivée. Les arbres étaient bien alignés et séparés régulièrement par quelques toises. Je vis sur cette route les premiers signes m’avertissant que j’allais à la rencontre de ces gens que les cénacles de la ville évoquaient vaguement. Enfin apparut un signe sur un genre de totem et il ne faisait aucun doute que la main de l’homme s’était essayée avec quelque grâce à cet embellissement de la nature.
Des simples courbes d’une jolie facture arrachaient ce jardin au règne de la sauvagerie pour l’inscrire comme ornement aux choses de la civilité.

Totem

J’abordais d’un pas léger et sans appréhension cette belle allée, réconforté et bien à l’abri des rudesses des vents, vers ce mystère qu’évoquaient de lointaines rumeurs. Ces dernières, colportées comme il est de tradition, par des agents et missionnaires de l’Etat pour qui l’ennui de leurs ordres n’a d’égal que leur aptitude à les enjoliver de manière fantaisiste afin de les faire paraître comme indispensables au bien être des citoyens. Enfin apparurent de modestes logis dans le prolongement de l’allée que mes pas achevaient de parcourir. Je pu mesurer l’emprise de ce soudain et inattendu agencement d’habitations d’un seul tour de tête tant il était minuscule. Tout était calme et cette quiétude laissait à croire que ses habitants vaquaient pour l’heure à des occupations les éloignant de ma bienveillante inspection.

Pluie tentes2

Dans l’attente d’une rencontre, et avec le bénéfice de cette paix, je pris le temps de faire l’inventaire de ce que je découvrais et ainsi satisfaire l’objet même de cette expédition.

Il me semblait être à l’orée des temps, au début de toute chose tant ce que je voyais s’établissait dans une complicité absolue avec la nature, trait si singulier des figures les plus primitives d’un quelconque Eden. En tout point cette société ressemblait à la notre dès lors qu’il s’agissait de ses premières formes. D’ailleurs, ne pouvions-nous pas comparer ce site aux premières pierres de notre cité et que nos académies considèrent de nos jours comme les fondements de notre belle société ? J’étais ce voyageur découvrant un trésor, dont il faut bien le mentionner n’avait de valeur que sa rareté, car c’est sans dorures ni pierres précieuses qu’il s’offrait, mais dans le simple appareil des nécessités les plus immédiates. Une pensée fugace me fit entrevoir ce que pourrait devenir mon récit quand de retour au siège de mes études, j’aurais à raconter à mes confrères amis et parents l’inexplicable existence d’un peuple vivant au seuil du notre.  Les habitations alignées présentaient bien des singularités. Ainsi toutes les entrées se trouvant vers le couchant, il ne pouvait y avoir aucun vis a vis. Cette disposition préservant l’indispensable intimité de ses propriétaires et surtout le bénéfice d’un soleil favorable aux petits émois qui prennent leur siège aux heures tardives de l’après midi. Relief et habitation s’organisaient parfaitement. Les abris étaient si mitoyens et en si parfaite harmonie avec le sol, qu’il me vint à penser qu’une règle d’urbanisme rigoureuse propre à ces gens s’imposait dans le plan des allées et passages. Rien ne dispensait d’imaginer qu’au delà de ce premier village ne pouvaient s’en trouver d’autres. Vers le Sud il était loisible d’observer le ciel. Et en effet au vu de la précarité des habitations, savoir anticiper les colères du ciel devait être une aptitude très appréciée. Le choix de l’emplacement du hameau à coup sûr, avait été fait selon l’exercice de cet art.

tentes

C’est d’ailleurs à ce moment là qu’un vif mouvement de l’air précéda les premières gouttes d’une pluie qui tout au long de ce court périple n’eut de cesse de me tenir compagnie. A peine à quelque pas se trouvait ce que nous aurions appelé une table. Mais elle était plus basse, pas plus haute qu’un banc que nous trouvons dans les jardins de nos grandes villes. D’ailleurs, la similitude avec un banc était si flagrante qu’un quidam peu averti s’y tromperait. Sur celle-ci donc, il y avait des restes de ce qui avait du agrémenter une liesse quelconque.

Un joyeux désordre présidait à cette tablée, gobelets de toutes tailles, bouteilles fort nombreuses désormais vides et reliquats de victuailles… Cet endroit était tel qu’il pouvait accueillir un petit groupe que l’on imaginait mettre à profit ce bon temps pour deviser sur le sens de l’existence à la manière de nos veillées campagnardes. Plus près du groupe d’habitations on trouvait en cercle des petits mobiliers pour s’asseoir. Je le supposais, car tous étaient différents, comme de provenances diverses, peut être de collectes ou de razzias. Il y avait même une guitare !  Et la pluie fine qui tombait depuis quelques temps… froide à cette heure tardive !

Je vis enfin un groupe, en majorité composé d’hommes, échangeant des propos avec de fortes voix. Ils m’ignorèrent comme ils ignoraient la pluie. J’étais un fantôme pour cette petite communauté. Ce qui me laissa le champ libre pour prendre de nombreuses notes sans jamais avoir à les déranger dans la pratique de leurs coutumes.

La remarque la plus pertinente à mon sens était que ces gens bien qu’établis au plus près de notre cité, n’apparaissaient pas facilement au regard du commun. Ils étaient tout simplement ignorés et la grisaille qui dominait leur campagne se fondait dans le reste de la ville. Mais avec l’exercice de l’œil, je parvins à découvrir d’autres groupes. Ils étaient forts nombreux le long des eaux, et plus surprenant, dans des souterrains.

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DE RETOUR

En rapportant à mes proches ce court périple il me fut rétorqué que la discrétion de ces hameaux ne pouvait avoir comme origine que la rusticité de leur fabrique. En cela ces habitations ne pouvaient prétendre au statut d’architecture aussi primitive fut-elle. L’architecture est un acte éminemment politique et c’est encore plus vrai de nos jours. Mais peut-être n’est-ce pas que cela. L’architecture résulte de gestes dictés par notre corps. Car faut-il considérer que ce premier abri, ce repli du sol dans lequel on se jette pour se protéger, cet amas de cailloux qui coupe le vent et ces branches qui adoucissent les rayons du soleil, ne sont pas encore des dispositions qui précèdent l’architecture ? C’est pourtant guidé par la réalité, qu’un homme prend la décision d’intervenir et d’organiser l’espace qui l’abritera. N’est-ce pas là ce que fait l’architecte pour les autres ? Ou alors l’architecture est-elle née quand un « autre » vint à partager ce même abri ? Ce faisant inventant par là même la politique, nouvel ingrédient permettant de composer le partage de l’espace en établissant des règles et des lois ?  Je me demandais ce que pouvaient en penser ces gens que j’achevais de découvrir.

Les petits abris de toile dans nos rues, sont d’étranges apparitions mêlant nécessités fondamentales et espaces organisés par des siècles de politique. Petits abris qui « marquent » une tribu se trouvant tout à la fois sur les rives les plus éloignées de notre territoire économique et au pied de nos murs.  Cette tribu racontait en raccourci l’histoire de l’abri primitif et de combien d’autres murs !

EPILOGUE

Quelques peu de temps après ce premier voyage et comme je n’arrivais pas a convaincre mes meilleurs amis que dans les replis de notre cité existaient et vivaient des gens dans des urbs bien agencés, je décidais un confrère de m’accompagner afin qu’il puisse observer et témoigner du bien fondé de mes propos.  Après une courte expédition sans ennui, nous arrivâmes sur le petit bourg qui m’avait tant étonné.

Quelle ne fut notre surprise! Tout avait été ruiné. Les légères habitations étaient retournées,  certaines jetées dans le cours, non pas du canal, mais dans celui des voitures qui à cet endroit filent vers d’heureuses destinées sans jamais s’arrêter. Les petits meubles et la guitare étaient dispersés au sol dans une folle violence. Quelle main pouvait avoir organisé le sac de ce village ?

Les réserves de victuailles jonchaient le petit bout de jardin et cette table ressemblant tant à un banc était souillée d’immondices. Tout signifiait l’abandon du camp désormais maudit par des haines qui n’avaient à l’évidence  pu être contenues. J’avais certes un témoin qui contribuait à lever le doute pesant sur mon premier récit. Mais j’avais le coeur blessé par cette toute cette désolation.

La dernière vision que j’eus du petit bourg fut cet homme assis contre l’enclos du jardin. Un de ceux qui partageait il a encore peu de temps les douces heures du jour avec ses frères. Il était accroupi et tenait sa tête des deux mains. Il pleurait doucement et parlait entre deux sanglots.  Nous repartîmes non sans nous être assuré que l’homme était hors d’un danger quelconque. Nous ne pûmes jamais savoir ce que fut la cause de toute cette ruine car nous ignorions la langue qu’il parlait et dans laquelle il tentait d’exorciser son malheur. Durant le retour mes pensées s’essayaient à imaginer et organiser les faits qui auraient causé un tel désastre. Rien ne me vint d’autre à l’esprit que ce que nous connaissons déjà. Le pire du politique.

 Germinal Rebull et merci à Jan Potocki dont j’ai emprunté quelques formes stylistiques

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