Slogan m’a tuer

Date
 18 mai 2013
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L’énoncé

Une classe de collège l’élève sur l’estrade.

–          C’est une petite chambre avec au fond une fenêtre. Il y a des rideaux qui sont repliés sur les cotés…

–          Alors on voit par la fenêtre ? 

Une voix qui vient d’un rang derrière.

–          Attendez, d’abord il faut que je vous dise ce qu’il y a dans la chambre, une table…. une nappe…enfin dessus quoi…

–          Devant ou dans un coin ?

Un autre

–           Quoi la table ou la nappe ?

–          Ben les deux, ils sont où ?

Les élèves continuent avec crayons et gommes à dessiner sur la feuille de papier ce que décrit la jeune fille sur l’estrade d’après la carte postale qu’elle tient à la main.

C’est l’exercice du cours d’art plastique…il faut transposer l’énoncé que fait cette élève d’après une image. Et pour chaque fragment de son récit, une volée de questions qui s’embrouille en rigolade, c’est amusant, il y a tant de manière de « voir » les mots. Et on peut aussi moquer la jeune fille sur l’estrade, histoire de renvoyer toutes les difficultés et donc toute responsabilité de transcription sur les faiblesses supposées de l’émetteur…

–          « Tu as dit quoi finalement pour la table …devant la fenêtre ou à gauche ?

–          Pas tout a fait devant…comment dire ? »

Entre les mots inspirés par la carte postale et les traits sur le papier pour tenter de se réapproprier l’image source, entre ces deux points opposés le chemin est bien long. L’enfant regarde une image et l’interprète, il opère déjà des choix qui lui sont personnels, il les traduit dans un langage codé et formel afin d’émettre des mots. Derrière chacun de ceux-ci il y a l’ombre de son caractère qui modèle la phrase. Le son qui traverse la classe et qui disparaît immédiatement est alors repris, interprété par d’autres, qui décodent le message à leur manière ce qui finalement permet d’animer la main sur le papier.

Cet enchaînement peut se développer pour devenir rapidement complexe. Et pour chaque nouveau maillon que l’on découvre, les sciences les plus diverses peuvent intervenir et s’essayeront à lui régler son sort, à le décomposer en d’autres mécanismes plus intimes encore. Autant de ramifications pour tout ce qui pourrait organiser ce qui va de la perception vers sa figuration en passant par le cerveau, sans oublier les chemins de traverse qui vont de A à B ou de B vers A

–          Ouais mais dehors, par la fenêtre il fait beau ?

–          Il y a du soleil qui rentre par la fenêtre…

–          C’est jaune ?

–          Non c’est bleu…enfin genre bleu…

–          C’est comme chez tes vieux…

–          -Ouarf ! ! ! ! général.

Détails, couleurs et lumières. Les enfants ne se satisfont pas d’un catalogue d’objets. Ils sont demandeurs d’informations qui les qualifient et les enrichissent. Ils doivent recréer un espace. On en revient pour organiser le monde à ses fondamentaux picturaux.[i].

Le milieu de l’affaire

Le sujet a donné lieu à de grandes pensées et de magnifiques textes et il ne s’agit pas ici de reprendre tel point de vue sur ce qui procède de l’acte de créer. C’est ce qui se trouve au «milieu » qui en l’espèce intéresse et dans le cadre de cette petite expérience. Ce moment où les conditions pour avancer se cristallisent dans la pensée.

L’image créée à partir d’une observation ou d’une vision intérieure est formulée ne serait-ce que par une suite logique. Cette suite devenant l’arpège du processus auquel on s’accroche. Toute tension vers un objectif induit un empilage de données qu’il faut organiser puis réorganiser sur chaque obstacle rencontré.

Rien que de penser ces quelques mots «je vais faire… » …déclenche un paroxysme de raisonnements. Qu’ils soient élaborés ou frustres ne change rien. La peinture est une prise de position. La toile « Les Ménines » de Velázquez vient de loin. Du fin fond de la volonté du peintre en un long cheminement qui abouti à un manifeste de sa société et une compilation extensive des savoirs de l’époque. Un jeu malicieux de l’artiste pour dire tout ce que fut sa propre vie. Cet exemple est hors norme mais cela ne l’empêche pas d’être une forme de modèle et depuis fort longtemps. La peinture rupestre sur des parois de grotte est une transposition des peurs et des besoins de chasseurs[ii]. Pour créer, nous mettons en place une structure logique qui est le ferment du langage. Mathématique, pictural, musical, c’est pareil. C’est en passant par l’agencement de cette structure que l’on peut agir dans le temps, toile, installation, architecture, musique ou d’autres mots.

Ce premier échafaudage qui se construit dans l’intimité de la pensée permet d’établir un rapport entre le réel et sa figure qui est à venir. C’est à ce moment que se façonne l’illusion et c’est prendre un risque que de l’oublier.

Ces échanges continus entre le réel et cette organisation fonctionnent en boucle. Il s’agit d’un cycle qui si l’on y introduit la dimension physiologique de la perception est un « cycle de la vie qui apparaît en chaque phénomène vivant, c’est un balbutiement en quête de l’être »[iii].

Et quand la jeune fille sur l’estrade assaillie de questions s’emporte et dit :

–           Mais attendez vous verrez mieux si je peux parler… .

Sa formule traduit exactement ce qu’est ce moment du balbutiement dans notre crâne.

Obtenir une figuration du réel c’est mieux si on se le raconte bien[iv].

Les hasards, les recettes et les modes n’y sont pour rien. On peut toujours croire que Pollock s’agite dans un état second et que la brosse file sur la toile, animée par d’heureux accidents qui s’appelleraient l’improvisation, l’inspiration. Autant de termes sur lesquels il faudrait s’accorder…Rien ne permet de faire l’impasse sur ce petit laps de temps où l’expérience et le désir prennent le pas sur tout. Il n’y a rien « à l’improviste » dans un solo de John Coltrane ou de Dolphy, mais une superposition magistrale dans un même espace-temps des acquis et d’un récit.

Changement de rôle.

Dans cette expérience, changer de rôle, c’est se situer sur un autre point du chemin. Cela peut être dans la mise en ordre par écrit d’une vision.

Alors la lecture de quelques lignes extraites des « Irresponsables » de Hermann Broch[v] peut bien servir d’exemple. Elle a donné lieu à une petite comptabilité car le lecteur ayant été surpris par la facilité avec lequel ce texte lui permettait de « voir », il y a compté 28 mots sortis tout droit d’un livre de géométrie (en rouge) et 18 mots relevant de la couleur, d’un contraste de lumière ou d’un bruit (en bleu et jaune).

Hermann Broch

Des outils simples : géométrie élémentaire et couleurs qui donnent accès à l’espace du square. Et magistralement.

Le procédé est au point[vi]., la qualité du texte offre une multitude des possibilités à l’imaginaire et chacun peut voir sa place de square. Le texte allie technique et sensibilité.

Dans ses efforts, face à la classe, la jeune élève qui raconte une image, éprouve toutes les difficultés de la formulation, exercice où Hermann Broch fait preuve de métier.

Architectures

 Le lecteur du texte de Hermann Broch s’est laissé aller à penser que finalement s’agissant d’un texte décrivant un espace, il pouvait assez bien illustrer ce qu’est un projet architectural.

Formuler un espace par l’écriture c’est s’obliger à établir une certaine distance que ne permet pas forcément le coup de crayon. Il faut prendre son temps et avoir déjà défini ce qu’est l’objet à décrire. On peut imaginer qu’un projet architectural bien « écrit » serait le résultat d’une authentique démarche analytique. Intelligible plutôt que « rendu » comme on dit dans le métier.

D’autant que de nos jours les projets qui prétendent affirmer de nouvelles tendances architecturales sont soumis à l’avis des décideurs, essentiellement par le biais d’images légendées par quelque chose qui tient de la ligne publicitaire. Ce n’est pas tout à fait fortuit. Presque tous les projets même « pensés » sont néanmoins tamisés au travers du même crible de procédure d’évaluation. Or ce filtrage privilégie l’image et seulement elle. En particulier dans le domaine public: les concours.

Des petits mensonges en béton

 

La recherche d’effets spectaculaires qui valorisent l’image du projet, plutôt que le potentiel d’un authentique contenu, a pour objectif de faciliter le passage de ces étapes d’évaluation. Mais on comprend bien que ce souci, à force d’être soumis à l’analyse devient finalement le mode d’élaboration lui-même. Pourquoi aller loin dans la réflexion si cette réduction du contenu en images simplistes permet de déboucher sur la commande ? Il n’est pas surprenant que le bâtiment résultant exporte vers le réel cette dimension de marchandise avec son slogan. Les outils de la réflexion sur la création architecturale et urbaine sont profondément atteints car remplacés par une performance de marketing. Conséquence : l’espace urbain ressemble de plus en plus à l’étagère d’une vitrine. Les bâtiments y sont seulement exposés l’un à coté de l’autre. Seul le label fait la différence et de plus en plus nettement. En effet c’est bien le logo comme catalyseur de toute expression qui prime. Le territoire se retrouve découpé par ces gondoles de grandes surfaces. On y voit toutes les marques. Lille, Berlin, des show rooms de grands labels d’architectes.

Cela a été dit depuis longtemps[vii] et ce métier de création, tout comme les autres, se développe en intelligence avec la publicité au détriment d’un véritable argumentaire. Il n’est pas de secteur d’activité qui échappe à cette donne : une bonne place dans la boutique vaut mieux que de bonnes raisons qui ne s’expriment pas en termes de marché.

Et on est en droit de s’inquiéter car pour ce qui est « construit » même à titre privé, il y va quasiment toujours de notre espace collectif. Voilà bien une raison supplémentaire, et de première grandeur, pour consacrer de la matière grise en amont[viii] plutôt que de supporter en aval un « produit » dont la vertu est de vieillir rapidement afin d’être remplacé alors qu’il est en principe fait pour durer. Ce qui est évidemment contradictoire. Mode et commerce obligent.

La responsabilité de cette dérive est à partager par tous et pas seulement par les architectes[ix]. Le domaine construit est lié de tous cotés[x]. Par l’argent, le foncier, le programme et les utilisateurs.

Composer un espace c’est avoir, en principe, l’obligation de mettre en œuvre des outils d’analyse spécifiques. Mais il faut le noter, les constructions les plus emblématiques de notre époque sont introduites dans notre environnement par le biais de cette simplification de communicant[xi].

 

Bon…

Pour espérer échapper à la culture des illusions faut-il compter sur l’épuisement des procédures actuelles et sur l’usure des « produits » eux- mêmes, comme dans cette belle image du Centre Pompidou s’écroulant sous le poids des visiteurs[xii] ?

Peut être pas seulement.

L’éventail des directions de recherche est aussi vaste que l’est notre nouvelle géographie : le monde.

Voyons la musique, la danse et d’autres formes d’expression qui révèlent notre époque selon des dimensions innovantes et comme autant de possibilités inattendues. En faire l’inventaire est inutile ici. Cela pourrait être De Stijl tout aussi bien que le groupe DJ Spooky et son pianiste Matthew Shipp.

La Galerie Tiphaine à Paris a exhumé et exposé des travaux d’architecture de 1975 qui continuent aujourd’hui de nous interroger en nous proposant de hiérarchiser l’espace grâce à un inventaire précis de ses qualités interne propres.[xiii].

 

Valparaiso tracé

 

Tracé pour « Travesia de Bahia Blanca, Ecole de Valparaiso.

Un seul exemple

 

Hermann Broch est venu de loin à la rescousse de l’élève de collège à la carte postale. Alors ne nous privons pas de citer un seul exemple pour essayer de trouver une similitude en architecture. L’Ecole d’architecture de Valparaiso[xiv], qui sous l’impulsion de Alberto Cruz, dès les années 50 s’attacha à la réalisation d’incroyables prototypes et structures avec ses élèves.

Des poètes, ceux là qui étudiaient le sens des vents sur les dunes pour composer[xv]. La moindre variation du relief étant considérée comme patrimoine du site et donc « mot » incontournable du projet qu’on se devait d’enregistrer comme principe constructif.

Valparaisobleu jaune rouge

Dès le début d’un projet, les tenants de cette école donnaient la plus grande importance à un inventaire du site dans une démarche respectueuse laissant ainsi présager d’une ligne de conduite pour l’ensemble du processus. Au départ du projet ils procédaient sur site à une espèce de cérémonial, acte fondateur où collaborateurs et public étaient conviés. Cette sacralisation, sorte de prologue au projet, permettait de déclarer que ce qui se trouvait là, sur ce terrain n’était pas sans forme et sans histoire. La mise en forme n’était pas en rupture avec ce qui avait existé là. Une claire conscience de ce que le projet allait emprunter à la nature et au temps présidait. Le projet terminé devait dans ses formes et ses fonctionnalités rappeler des dimensions qui dépassent le cadre de notre action. Le capital initial n’était pas dilapidé et comme il se trouve que les réalisations de cette école ayant été presque toutes éphémères, on peut constater qu’en effet tout a été restitué.

 

 

Hospederia del Errante, Miguel Eyquem 1981 Ritoque , Quintero

L’acte collectif et public initial, « Phalène » excluait ainsi le culte du nom pour laisser place à celui du don de la vie depuis la nuit des temps. Le groupe faisait appel à toutes les disciplines, philosophes, poètes, biologistes… Mais non pas pour les utiliser comme citations ou références faisant office d’hommage ou faire valoir. Ces intervenants étaient des acteurs du projet. Grâce à quoi l’Ecole d’Architecture de Valparaiso a su entretenir une critique vivace très précise de son temps.

L’orthodoxie architecturale de ces années, représentée ailleurs par Le Corbusier ou Mies Van der Rohe, n’a pas eu de prise sur l’élan des gens de Valparaiso[xvi].

L’inspiration c’était :

« La vie journalière urbaine ».

A y regarder de plus près, ces trois mots tracent le petit parcours qui devrait présider à l’acte d’aménager l’espace :

L’homme, le temps et l’espace.

S’y consacrer, un poème.

© 2000  Germinal Rebull


[i] Il s’agit d’un compte rendu de travaux  réalisés par une classe de 4ème dans un collège de Paris.

[ii]Un récent article publié le 4 Décembre 2003 dans « Le Monde » L’art rupestre préhistorique est-il porteur d’un langage ? Pour Emmanuel de Roux  les œuvres rupestres s’apparentent à un véritable langage dont il déchiffre la grammaire et la syntaxe.

 

 

[iii] Viktor Von Weizsaecker in « le cycle de la structure » Desclée de Brouwer Ed.

 

[iv] Figuration n’est pas pris au sens utilisé comme par exemple pour peinture figurative mais génériquement comme un résultat ou une interprétation

 

[v] « Les Irresponsables » de Hermann Broch 1949 Gallimard ed 1961. Traduction Andrée Picard.

 

[vi] Ces outils rappellent par exemple l’usage qu’en firent les néo-plasticiens.

 

[vii] La plupart de nos penseurs ont déjà, et avec plusieurs éclairages différents, identifié cette caractéristique de notre temps. Mais citons l’un des plus pertinent : Harold Rosenberg in «  The De-definition of art » 1972. Evoquant l’œuvre de Arp «Quelle que soit la résistance qu’on lui  oppose, le destin de l’art est de se transformer en métier ». C’est dire que le questionnement propre à toute démarche créatrice est remplacée par un chemin critique établit par des professionnels du métier. Mais la profession n’existe-t-elle pas que dans le cadre d’obligations indispensables d’un marché ?

 

[viii] Dans le phasage des études des projets c’est la partie initiale qui est la moins bien rémunérée et la plus courte. Ces deux éléments contribuant à un investissement relatif en réelles connaissances et donc à sa substitution par des trucs à concours, des images, souvent des images de marque. Dans le Harvard Design, Magasine ( fall  2003) Eric Lum professeur à l’Illinois Institute of Technology déclare : « on peut toujours arguer que la recherche formelle en architecture est un exercice valide pendant les académies. Le problème vient quand il faut assumer la réalisation des images, qui sont ce que font les architectes pour l’essentiel ».

 

[ix] Lors d’un récent colloque sur la presse et la critique architecturale est apparue la difficulté à poser la bonne question. Un tenant de la certification par le diplôme se plaint que 60% des constructions ne sont pas « signées » par des architectes. Pourtant dans les 40% restant qui le sont on trouve de grands ensembles, une multitude de zones sinistrement aménagées et des grands projets dont la réussite est contestable. L’argument du diplôme garantissant la qualité ne tiens pas, d’autant que notre passé c’est  99% de constructions qui se passaient d’architectes. Sans nostalgie, on peut souvent s’en réjouir.

 

[x] Il y a en tête de chaîne le commanditaire et puisqu’il s’agit de constructions de prestige, c’est dans 90% des cas des élus. Et comme on le sait la publicité est bien adaptée au rythme soutenu des échéances électorales.

Il y a les maîtres d’œuvre, principalement les architectes.

A l’autre bout de cette chaîne c’est nous, les citoyens, usagers potentiels, et ce n’est pas une extravagance d’avoir à partager les responsabilités de cette situation.

 

 

[xi] Les grands projets ne représentent qu’une très petite part du domaine bâti. Mais elles véhiculent les valeurs de symbole et participent à fixer le cap de marche de la société. Dans l’imaginaire collectif persistent néanmoins des modèles usés à la corde comme par exemple la petite maison avec le toit pointu et la cheminée qui fume. Un must du marché des illusions et qui fait des dégâts considérables sur l’environnement.

 

[xii] «  L’effet Beaubourg » Jean Baudrillard, Galilée Ed.

 

[xiii] L’étude appelée « Le Volume bleu et jaune ».

 

[xiv] Escuela de Valparaiso/grupo ciudad abierta .Ediciones Tanaïs s.a, Sévilla.

 

[xv] « Godo » c’est à dire le poète Godofredo Iommi fut l’instigateur du cérémonial de prise en compte des sites par une démarche poétique. Les « Phalènes ». Citons aussi Juan Borchers, le philosophe François Fedier, le sculpteur Claudio Girola et la présence ponctuelle de Max Bill.

 

[xvi] Ces deux architectes n’en sont pas moins de très grandes figures de la création architecturale.

 

8 commentaires

  1. VASSAS.J |

    Opération complexe que de décrire une image qui est elle-même la résultante d’une représentation du réel. Il se pourrait aussi que les imprécisions de langage de la jeune fille proviennent, de sa difficulté à percevoir, ie, de son regard. Le regard porté sur les objets quotidiens qui deviendraient autant de « points aveugles », difficiles à percevoir donc difficiles à décrire. Qu’est-ce qui est premier: le langage ou la pensée?

    • Germinal Rebull |

      Je crois que ce commentaire est pour le texte sur le progrès.
      Mais finalement on pourrait partir de là et regarder si finalement il peut aider à comprendre la « virée »….
      Dans le fond on pense et on écrit toujours la même chose.

    • Germinal Rebull |

      Je relis ce commentaire et effectivement il y a une relation avec la « virée ». L’image des routes transposée dans le GPS nous impose un code sur le réel. La représentation du territoire dans ces systèmes laisse de nombreux « point aveugles » . Baudrillard nous rappelle avec précision la pathologie causée par la représentation cathodique . Fascination induite par le scintillement des pixels, son , focalisation du regard, mouvement et éclat lumineux en sont les symptômes.
      Dans « slogan » la jeune fille est comme nous tous avec des difficultés à percevoir. C’est cela qui est le lieu d’un « travail » intime entre toute représentation et réel. L’image étant déjà un langage. Mais quand il y a « écran » ce travail semble en suspend comme anesthésié. Alors qu’il est la matière première de la pensée. Prudence donc.

    • Germinal Rebull |

      Je relis le commentaire et surtout la dernière phrase. « qu’est ce qui vient en premier, le langage ou la pensée »
      Je viens de relire une conférence de Marcel Jousse qui est très intéressante de ce point de vue.
      Ce qui vient en premier c’est le geste. Avec une incroyable symbiose avec le cerveau.
      Regarde là ! et c’est le doigt qui indique.
      Voyons les bébés qui découvrent le monde. Pas de langage au sens ou il serait déjà un outil de composition de la pensée, donc pas de pensée telle qu’elle induit un langage. Non juste des gestes et surtout des gestes avec les mains.
      Je suis content de cette approche, et y trouve toutes sortes d’appuis tels que la pratique de l’aikido et du kinomichi de M° Noro. Il disait avoir consacré sa vie pour « le geste ». La danse est aussi un mode qui reprend ce fond.
      Dans la « naissance de la tragédie » de Nietzsche, cette magnifique classification des arts
      Apollon: geometrie astronomie, guerre, sculpture , peinture etc…
      Dionysos: musique, théâtre, ivresse
      Et ces deux là ne s’aiment pas mais quand ils acceptent de se croiser naît « la danse »

  2. Germinal Rebull |

    échange avec N. Morel (écrivain)
    Cher Germinal,

    Enfin j’ai pu accéder à l’un de tes textes, qui s’intitule peut-être « Slogan m’a tuer ». C’est celui où tu pars d’une page des « Irresponsables ». Je ne l’ai lu qu’une fois et pas suffisamment bien, à cause de l’éclairage. Il me faudrait l’imprimer mais, pour ce faire, commencer par changer de tuner. Dans les conditions susdites, je l’ai trouvé excellent et il m’a appris des choses – en particulier sur Valparaiso.
    Je sais que ce passage de Broch te hante depuis longtemps, puisque tu m’as montré ton édition « L’Imaginaire » dès notre seconde rencontre, déjà annotée. Broch, comme Musil, peut-être à cause de leur formation, était extrêmement soucieux de topographie, d’une localisation faisant appel à l’imaginaire de tous les élements composant les paysages urbains qu’ils évoquaient. Ainsi, Musil. Rien que la première page de « L’HsQ »… Il y a une phrase (que je cite de mémoire): « Les automobiles filaient dans les rues sans profondeur ». Il m’a fallu beaucoup de réflexion avant de comprendre quel point de vue cela impliquait, et en quoi c’était lié à « l’ouverture météorologique ».
    De mon côté, comme je te l’ai dit, j’étais fasciné par « Les Irresponsables » à cause de la structure A-B-C…. Z = A. Du coup, après que nous en eûmes parlé, j’ai relu ce roman. Je n’aime pas la fin, où intervient une figure diabolique à mon avis superfétatoire. Néanmoins, c’est plutôt admirable.
    Si « Slogan m’a tuer » est bien le titre, je le trouve à la fois très explicite et réducteur. Certes, il y a aussi une dimension polémique dans ce texte: forcément, la puissance poétique et minoritaire de ce POUR quoi tu milites (militais?) implique un CONTRE: tout ce qui l’empêche, l’entrave, l’étouffe et qui paraît désastreusement majoritaire. Mais cela ne limite pas ton propos. Clair, concis, évocateur et – c’est la cas de le dire – bien construit.
    Peut-être réussirai-je à à accéder à d’autres textes. En tout cas, j’aimerais bien.

    A toi affectueusement Nicolas.

    • Germinal Rebull |

      Nicolas
      Hé bien le fait que tu ne trouves pas détestable ma prose est déjà un soulagement. Je ne suis évidemment pas écrivain mais parfois il faut bien faire sortir les choses qui ne peuvent être validées par exemple dans l’espace. On en vient à ces formules polémiques, tu as bien vu ce dont il s’agissait. L’écrit, même si les pages restent dans un tiroir, ont la vertu de ne dépendre que de soi. Ce qui n’est pas le cas en architecture où ce que gère vraiment le Maître d’oeuvre ressemble a quelques cacahuètes laissées par le foncier, les intérêts de toutes sortes et les banques pour ne laisser personne sur le bord de la route.
      Il y a pour chaque texte une petite colère c’est vrai. Les sujets ne manquent pas. Je ne regrette d’ailleurs pas de me trouver dans cet état, me ralliant par là à la horde des porteurs d’angoisse. Non pas que cette dernière rende des jours plus joyeux, mais je sais qu’elle est indispensable à la formulation. Il y a d’ailleurs un bon texte là dessus de Harold Rosenberg : »une profession sans angoisse » . Il y dénonce les dérives de la production de l’art (il faut employer ce terme). Je pense le retrouver et te l’envoyer.
      Donc j’ai commis quelques écrits qui gravitent constamment autour de cela.
      Musil et Broch ont eu des formations scientifiques qui transpirent dans leurs travaux et tout particulièrement la géométrie et par là l’espace. Je peux de ce point de vue là au moins revendiquer une petite fraternité. Je dessine souvent quelque chose avant d’écrire. Une carte…
      Je relis ton envoi et je perçois la précision de ton regard sur l’écrit. Par exemple je ne suis pas sur d’avoir détecté dans « les irresponsables » la structure que tu mentionnes. Mais je suis sûr qu’elle a été indispensable à l’auteur.
      Bien à toi
      Germinal.

    • Germinal Rebull |

      réponse N.Morel 02/07/13 à Germinal via gmail
      Cher Germinal,
      voici un courriel qui risque de laisser perplexes les experts de la NSA:
      Concernant la structure des « Irresponsables », tu as en partie raison: elle est beaucoup plus complexe que mon schéma, encore qu’ au bout du compte…
      La lettre « A » désigne le personnage Andréas qui n’intervient pas au début. La première « strate » (1913?) est centrée sur la baronne W., sa fille Hildegarde et la servante Zerline (personnage inoubliable, qui ne sera pas « Z »…) La « strate »2 (1923?) sur A, Andréas, l’un des deux irresponsables majeurs, si je puis dire./ Dont la conduite inconséquente provoque par ricochets le suicide d’une jeune fille, Mélita. A se suicide à son tour, par veulerie et non par remords. La troisième « strate » (1933?) s’organise autour de Z, Zacharias, qui opprime les faibles et tremble devant les forts. Comme tous les petits-bourgeois qui, au gré des circonstances, peuvent devenir criminels pour les motifs les plus nobles, il prépare l’avènement du nazisme, dont, au nom de l’ordre, il acceptera toutes les cruautés. Le roman comprend bien d’autres personnages et d’autres situations, mais c’est autour du rapport A-Z que s’édifie sa signification morale et métaphysique. A et Z sont les irresponsables: le premier qui entraîne la mort de Mélita par omission; le second va pouvoir participer au massacre de milliers d’hommes tout en demeurant persuadé de son innocence – donc A = Z, et le coupable = l’innocent dans « le monde vide de l’irresponsabilité » (H.B.)
      C’est en me fondant sur des notes prises à l’époque, où sont receuillis certains commentaires de H.B. lui-même, que j’ai pu reconstituer ce qui précède.
      A mon avis, c’est l’oeuvre la mieux construite de la littérature du XXème siècle. Avec, peut-être, d’une autre façon, « Absalon, Absalon » de Faulkner. J’en suis resté béat d’admiration – au point de finir par simplifier considérablement. Il en irait de même, sans doute, pour le Faulkner.
      C’est peu de dire qu’aujourd’hui de tels ouvrages ne seraient pas lus.

      Bien à toi Nicolas.

  3. Nicolas Morel |

    Je viens de relire GATSBY, dans la traduction cette fois-ci de J. Wolkenstein et j’y ai trouvé un paragraphe particulièrement évocateur (P87) dont j’extrais ces quelques lignes:
    « Et pourtant, haut dans le ciel, au-dessus de la ville, notre rangée de fenêtres dorées devait, si quelque marcheur arpentant les rues peu à peu noyées d’ombre l’observait par hasard, donner l’impression d’un fragment intime d’humanité. Et j’étais aussi ce passant, son regard, son émerveillement. J’étais dedans et dehors, simultanément captivé et écœuré par l’inépuisable variété de la vie. »
    Ce qu’exprime ici Fitzgerald, qui d’entre nous ne l’aura éprouvé? « Et pourtant », il y a là une étrange distorsion de la vision (du point de vue), à la limite inadmissible mais sans laquelle ce texte ne nous toucherait pas autant.
    Epreuve pour une prochaine jeune fille?

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