Guy Claude François. Ce soir, répétition générale, un siège reste vide.

Date
 4 février 2014
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C’est surtout quand les choses tardent à se mettre en place que Guy Claude jardine ses colères froides. Jamais de mots forts cependant, pas d’ordres impératifs non plus.

– Bon et bien puisque vous savez le faire je peux m’en aller, vous n’avez pas besoin de moi.

Il ne va pas loin bien sûr, dans les coulisses, au foyer parfois, il y aura bien quelqu’un avec qui bavarder et prendre un café. Et de là il peut entendre les voix qui le réclament depuis le plateau.

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-Où est Guy Claude ? Vous l’avez vu ?

Ce sont les mots qu’il attend tranquillement pour revenir, mais sans se presser. Il lui faut un ou deux rappels et il a le temps de finir son café. C’est sa dramaturgie pour chaque chose de sa vie. Il fait pareil même quand il s’agit de corriger l’orthographe des mots qu’on lui envoie. :

– Eh bien écris comme tu veux…

Sous entendu si tu veux faire ta petite académie dans ton coin te gêne pas. Surtout qu’il a fait du latin et qu’il nous en sert de temps en temps, comme pour donner du poids à ses arguments. L’antique c’est imbattable.

Mais c’est surtout l’histoire du siège. Alors là il est fort.

– Le siège là, il est inutile, personne ne s’assoira là, il faut le supprimer, le mettre ailleurs, tu ne comprends rien,  no comprendo ? Qu’il siffle.

Je me demande d’ailleurs si « no comprendo » qu’il utilise souvent est extrait d’un album de Tintin ou s’il considère que cette expression espagnole, suffisamment proche phonétiquement du latin lui permet une pointe de véhémence indispensable pour conclure. Mais comme il nous dit sans arrêt que le théâtre c’est l’art de faire du vrai rien qu’avec du faux, ce genre de glissade ironique est une preuve de plus. Faux mais conforme. De l’art quoi ! Il ne dit pas pourquoi le siège est mal placé, mais il le sait, et si les arguments qu’on éructe créent un désaccord, il ne s’oppose surtout pas, il invite à revenir au bon moment dans la salle, le jour où justement tout est plein sauf le siège. Et il sourit.

Quarante ans de théâtre et c’est toi qui vas m’expliquer…

C’est comme pour la faute d’orthographe, il connaît sa conjugaison. Bien sûr il se trompe parfois et dans ce cas il glisse gentiment une formule d’enfant qui se fait attraper….

– Ah bon ! Je n’avais pas compris, c’est que tu as une drôle de prononciation, tu expliques mal…

Il a les formules magiques.

Guy Claude se ballade dans les actes de sa pièce avec l’aisance d’Arlequin. Pas le rustre, non, celui des origines, le fils des soufis des temps anciens, ceux qui ont pour mission ici bas de nous indiquer le chemin de la sagesse avec une bonne dose de dérision. Et il aime cela la dérision Guy Claude, il est très bien dans ce rôle. Des leçons il en a donné, de vrais succès.

 Guy Claude ne revient pas. S’attarde-t-il au foyer ? Quelques jours déjà qu’il ne se montre pas. Le théâtre devient immense, les murs de la scène s’écartent, on les voit à peine maintenant, cela va être très difficile à éclairer tout cet espace vide qui s’assombrit, on devra repenser le décor et se remettre au boulot sans lui, il va falloir s’y reprendre à plusieurs fois. Pendant quelque temps on va hésiter, on appellera le foyer, on ira inspecter les coulisses pour voir si des fois…

C’est la Générale, il y a tous ses amis dans la salle, et nombreux, mais son siège reste vide, non pas celui qui est mal placé, le sien.

 Il est juste en retard c’est sûr, il va passer nous donner son avis à la fin du spectacle. On va l’attendre, il sait où on est non ?  

 

le dessin de décor est de Guy Claude François

9 commentaires

  1. Gabriel |

    De tout coeur avec toi Germinal. C’est un très grand professionnel que nous perdons tous. bises
    gabriel

  2. Guillou Alain et Marie Hélène |

    La disparition de Guy Claude François nous a beaucoup émus et nous nous associons à la peine de tous ses amis

  3. Marie |

    Magnifique, et bel hommage! Je sais à quel point il va te/vous manquer….
    Une pensée lointaine
    Marie

  4. Kouklia |

    Merci Germinal pour ce texte émouvant
    on a le sentiment partagé que Guy-Claude est toujours là
    dans nos mémoires en tous cas
    Michel

  5. Rose Myriam |

    Germinal,
    C’est avec un immense regret que j’ai appris la disparition de Guy Claude.
    C’est un très bel hommage que tu lui rends par la finesse, et la délicatesse de ce texte qui semblent si bien lui correspondre-
    Je garderai un précieux souvenir de nos rencontres, et de son appui lors de mes débuts dans la profession.

    Myriam

  6. Nicolas Morel |

    Germinal m’a souvent parlé de Guy Claude François, que je n’ai jamais connu. Cependant, il n’est pas nécessaire, lorsque nous lisons un texte à la fois émouvant et précis d’avoir rencontré la personne qu’il évoque pour imaginer celle-ci dans sa singularité. Cet hommage posthume fait (re)vivre l’homme de même qu’un roman réussi nous fait imaginer des personnages. Qui parfois deviennent héros.

  7. Rebull |

    Après avoir lu ton bel hommage, j’ai l’impression de connaître Guy Claude depuis très longtemps.
    Surtout ne supprime pas le siège. Il viendra s’y asseoir pour nous regarder…

  8. Ania |

    « Il n’explique pas pourquoi le siège est mal placé, il le sait ». – c’est absolument vrai! Et c’est pour cela qu’il était un peu déroutant comme professeur… Un instrument bien accordé.

  9. Germinal Rebull |

    Guy Claude ne revient pas…
    Il aura trouvé avec qui faire les déjeuners où on se canardait d’arguments. Il refait le monde ailleurs, c’est sur, il ne changera pas. Mais c’est comme cela qu’il est.

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