« Yoyo », ou l’acrobate des vignes
Elle n’est pas évasive quand on lui demande pourquoi on l’appelle « Yoyo », pas exactement, elle ne semble pas savoir elle-même, alors elle sourit, ce qui est tout à la fois une fin de non-recevoir ou une opportunité pour imaginer toutes sortes de possibilités. Le sourire c’est comme des points de suspension dans une rédaction, le lecteur doit deviner la suite…
Alors, est-ce que ce « yoyo » est une résonnance écorchée de Laurence ?
Pas crédible a priori, aucune syllabe qui sonne pareil ou vraiment à peine. Autre possibilité, ses parents disaient d’elle que.. Vu que ceci….Vu que cela…ah, je ne me souviens même pas de ce qu’elle m’a raconté à ce propos, comme quoi elle a réussi son coup, il faut supposer la suite.
N’empêche, « Yoyo » ! c’est comme cela que tout le monde l’appelle. Et pas que… Elle est viticultrice et tous ses vins s’appellent aussi « Yoyo.
Sauf que ces derniers ont un prénom, tel que « Yoyo de l’année », « Yoyo de là », et même « Yoyo nature ».
Une observation cependant : « Nature » figurant sur toutes les cartes d’identité de ses bouteilles, ce ne peut être un prénom. Cela correspondrait plus à l’usage de deux noms de famille par une seule personne. Ce qui est toléré par la loi.
C’est ailleurs qu’il faut aller chercher les raisons du Yoyo.
Évidemment, en l’absence de solutions qu’elle pourrait proposer, on peut voir si cette femme-là a quelque chose de commun avec le jouet du même nom, celui qui s’enroule sur une cordelette et qui est à ce que l’on dit, un des plus anciens au monde.
Que dit l’expert en yoyo ?
L’objet cylindrique et aplati, tourne de plus en plus vite pour accumuler de l’énergie, ralentit à la demande, grimpe le long d’une ficelle et miracle s’élève dans l’espace pour y décrire des boucles au gré des différentes forces libérées pour l’occasion. À chaque aller-retour existe ce point précis, là où le « yoyo » complètement en bout de course, hésite, se demande s’il peut rester au bout de la ficelle tendue, ou revenir et s’y entortiller. Prenant alors conscience que ce n’est pas raisonnable au vu des énoncés des lois de Newton, il décide de saluer gracieusement la foule admirative, avant d’aller se refaire un plein de forces grâce à de véloces rotations et proposer une nouvelle pirouette tout à fait inédite. Effectivement, il y a là une piste, je le dis, une piste moderne, car ce jouet, malgré son ancienneté, n’est pas démodé du tout, car grâce à une ficelle et un machin qui tourne, sont possibles d’incroyables figures complexes, des trajectoires extravagantes que seules justifient une algèbre à plusieurs inconnues. Il faut se méfier cependant du détournement du yoyo selon des points de vue conceptuels, vous savez, cette tendance qui associe une image à un mot pour vous faire croire que vous êtes ignorant. Le concept ici n’est pas si simple, il n’est pas du même tonneau que ceux qui nous fabriquent de la publicité et même quelque chose que certains appellent de l’art. Ne rapporte-t-on pas que dans une contrée lointaine des yoyo en bande brisent des bouteilles et des verres, des verres pleins de bon vin ? On sait que des membres de cette ligue sont d’anciens cadres de l’administration sanitaire et de fervents ennemis du libre arbitre, des amis de la consommation.
Plus professionnellement et dans la circonstance, pour que « Yoyo » fasse une viticulture qui sollicite autant le goût que la curiosité, la sienne, elle doit intégrer mille petits faits observés par la grâce de terrasses de vignes bien dessinées et cela est aussi mystérieux que les mathématiques des mouvements planétaires. Mais ce n’est pas suffisant ! Elle parvient à ses fins par la présence dans son proche environnement d’au moins un individu qui a des solutions pour quelques-unes de ces aériennes équations, il existe, il est par là, un peu chamane. Plusieurs témoignages l’attestent, il a été vu avec une mule avec laquelle il parle. Il doit en solliciter les compétences. Cet animal a la vertu d’éclairer les augures. Il n’y a pas de doute, la mule c’est l’indice, c’est tout en sagesse, il y a toute l’antiquité dans ce quadrupède tout à la fois cheval et âne, rien que cela.
Pour le rédacteur, votre serviteur, c’est bien le jouet qui inspire le surnom de Laurence Manya Krief, dont l’agitation défie la pesanteur, celle du Domaine de Yoyo.1 , lieu où l’on évite les ordres viticoles et les orthodoxes du nez.
Ce jeu est bien la raison pour laquelle tous l’appellent « Yoyo ».
Cette femme vive sur pattes peut nous resservir une tournée, joyeusement, avec couleur d’yeux qui font reculer l’adversité et les incertitudes des saisons. Ces dernières qu’elle défie en allant les interroger avec ses voltiges dans les airs de la vie.
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Patrick Jude
Sur la plage, il y a des années, tout ce qu’il racontait n’avait de sens qu’illustré par le jeu habile et expressif de ses mains.
Et raconter c’était son affaire. Il parlait beaucoup et ses mains en mouvement, c’étaient des sous-titres. Ce qui faisait que, sans médisance aucune, si ce qu’il racontait restait hors de portée, et bien grâce à ses gestes on comprenait.
Toujours est-il, qu’il a fait de cette expertise acquise dès ses premiers émois, là sur la plage, son métier. Il raconte et ses mains traduisent.
Donc il est peintre.
Pour des raisons de rédaction, il faut aller à l’essentiel, mais il faut toutefois préciser que pour toutes les choses de sa vie, il procède selon une méthode en vigueur dans les laboratoires où l’on réalise des satellites. Là où pas un cheveu ne traîne, où tout est pesé, évalué et contrôlé, pour garantir le meilleur résultat. Qu’il prépare un cadre, une toile qu’il achète un sécateur ou des espadrilles, tout procède de cette méthode. Il n’y a qu’à voir comment il soigne l’olivette attenante à sa maison, une pente de cailloux parfaitement agencée en terrasses avec les oliviers à leur place exacte. Idem pour les outils sur l’étagère de l’atelier, on y détecte à peine les traces de son travail tellement c’est rangé… et de bonne qualité.
Aujourd’hui, Patrick dispose d’une œuvre. Il lui suffisait de raconter en appliquant la méthode, ce qui est simple dans l’énoncé, mais plus difficile qu’il n’y paraît pour y parvenir.
Aujourd’hui, ayant fait le tour de tellement d’affaires qui ont jalonné notre temps, après les avoir mises sur toiles, il trouve que peindre les vignes qui sont autour de son atelier, c’est une histoire largement suffisante pour que les grands principes mentionnés plus haut, puissent être appliqués.
Sur les collines autour de chez lui, les vignes sont réalisées selon une logique stricte. Ce qui n’empêche pas que souvent le résultat est compliqué, voire inexplicable. Les reliefs sont inattendus et il y a de curieux accidents partout. C’est fait de murettes qui soutiennent les coteaux, des tas de canaux traversants, et autant de déversoirs et petits aménagements qui encaissent les intempéries. Tout cet attirail peut être consigné dans une longue liste de noms catalans dont on épargnera le lecteur. Après tout ce n’est pas ici un manuel de vigneron.
Ce qui est remarquable, c’est que Patrick Jude, à force de raconter ces vignes, de les peindre, s’essayer lui-même à les comprendre, il les simplifie, cherchant à n’en rendre que le cœur. Partout où les yeux peuvent porter, il cherche une réponse à ce qui est l’esprit d’une relation entre la nature et une activité humaine. Cela est un thème qui lui est cher, et peintre qu’il est, il en rend compte dans ses toiles.
Là commence la magie. Au fur et à mesure qu’il s’approche d’une vérité des formes et des couleurs, ses mains se fâchent. Tout ce qu’il enlève de superflu, tout ce qu’il laisse de coté pour éclaircir sa narration, absolument tout se retrouve dans ses mains. Les pleins et creux, les reliefs tortueux des cailloux et des ceps, toutes ces aspérités se glissent dans ses phalanges. Ce qui n’est plus sur la toile se retrouve dans ses doigts. Pour lui, c’est une maladie, et il souffre assez pour qu’on en soit convaincu. Mais cette affaire a des précédents, tel ce gitan célèbre qui offrit le meilleur de sa guitare avec les deux doigts que la vie lui permit de conserver.
C’est peut-être aussi le résultat d’un mimétisme involontaire, d’une immersion profonde pour aller chercher des fraternités cachées, mais tout aussi significatives, qui existent entre le paysage et nos rêves.
Bien sûr, quelques tenants des Olympes de la psyché affirmeraient que tout cela s’expliquerait par l’histoire d’une figure mythique qui d’autorité postulerait que la souffrance est en fait une merveille. Ceux-là disposent d’une espèce de science dont les remèdes abolissent toute interrogation et même l’impossible. Et si l’impossible disparaît, alors à quoi bon se lever le matin.
Il s’agit de tout autre chose. La fascination de Patrick devant l’enchevêtrement des pierres, les alignements et détours de ces lignes qui habillent le paysage, la déchirure de l’esprit qui ne se contente pas d’une surprise béate devant ces collines vêtues par l’homme, tout cela a obligé ses mains à se superposer au dessin fantastique des vignes dans la lumière, à leur part d’irrésolu. Et avec le temps, chaque fois un peu plus dans sa peinture, il nous dit que notre univers n’est que répétition et l’infini une illusion.
Il nous dit avec un sourire, que ses mains, il pourrait les coller directement dans la toile de sa dernière vigne, celle en cours, et ce ne serait que deux pieds de vigne de plus, et d’un réalisme inégalé.
La douleur serait une rançon pour saisir un petit fragment de vérité . Patrick ne la payera pas, il n’est pas du genre à faire des dettes.
La réalité, si elle existe vraiment n’est qu’une succession d’obstacles qu’il faut franchir, et dont on ne tire qu’un atome de sens à chaque fois. Dépassé l’un, il faut aller vers l’autre.
Alors, Patrick Jude raconte, il parle et ses mains font le reste. Il semble heureux, comme quand nous étions sur la plage, c’est tout.
Patrick Jude, habite Banyuls sur
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