Banyuls-sur-Mer est né au fil des siècles par la lente pénétration des moines de San Quirce de Colera, ce monastère à un jet du col de Banyuls du coté Catalogne Sud. Cette conquête du versant nord s’est faite le long de la rivière « la Baillaury ». Ce qui confère à ce bout de crête qui sépare la France de l’Espagne le statut multiséculaire d’être un point essentiel d’une artère qui en longeant la rivière permet des échanges économiques locaux, la continuité d’un tissu social, familial et culturel aussi vivace d’un coté que de l’autre.
Or il se trouve que dans la situation actuelle, dans un climat propice aux décisions administratives expéditives pour cause de pandémie, ce col est fermé et orné de blocs de béton interdisant tout passage de véhicules. Ce col doit être un point stratégique de premier ordre, car c’est le seul du département, voire le seul de la chaîne des Pyrénées, dûment et réglementairement interdit. Quand on constate que la jauge de cette petite route de montagne permet le croisement de deux automobiles, conduites avec délicatesse à certains endroits, il échappe au commun de se représenter le danger imminent et formidable qui nous menace.
La question est donc de savoir quel est-il, quelle est la raison d’État qui confère aux blocs de béton la valeur équivalente d’une grande armée. A comparer la taille du col et l’importance qui lui est donnée, cela ressemble à un scénario proche de la bagarre des Fouaciers, un chapitre capital du Gargantua de Rabelais dont l’exposé est : « Comment feut né entre les fouaciers de Lerné, et ceulx du pays de Gargantua le grand débat, dont furent faictes grosses guerres ».
Soit une altercation sur des gâteaux qui engendre un conflit planétaire.
L’autorité préfectorale, dûment accréditée pour assurer notre sécurité impose la fermeture de ce passage, et laisse filtrer de temps en temps quelques bribes de motifs que ses espions auraient glanés ici ou là. Ils sont de la plus haute importance cela va de soit, et ils justifient que les blocs de béton sur ce col veillent sur une ligne à tenir qui en plus est inspectée rigoureusement aux heures de ronde par des patrouilles de la maréchaussée et même des militaires aux aguets.
Parfois il se dit que c’est pour lutter contre l’immigration clandestine. Voyons, voyons ! l’autorité n’est pas aussi naïve, elle sait que ces gens ne peuvent pas, obligés qu’ils sont, posséder des voitures. Il est vrai que la possibilité de prendre un taxi reste une option. Et comme cette même autorité a le loisir de vérifier tous les matins, que ces pédestres sujets ennemis en déroute se promènent dans les vignes et les petits sentiers qui contournent les blocs, il est hors de question que l’immigration soit le motif raisonnable.
S’agirait-il d’arrêter les go-fast chargés de stupéfiants ? Ceux-là ne sont pas plus dupes que les autres, ils sont équipés pour passer par les voies maritimes bien plus rentables et si l’on sait qu’ils empruntent parfois ce col, c’est donc que l’on en arrête quand même. Ce qui démontre que les douaniers sont efficaces. Là encore nous nous trompons, ce ne peut être le motif.
Serait-ce que le chef sous la pression de commerçants veuille limiter les pertes ou les gains de ceux-là et de ceux-ci au vu des différences de tarif pour des produits usuels ? Non, car dans ce cas tous les autres passages devraient être fermés pour tarir efficacement la fuite des devises. Ce n’est pas la bonne piste.
Plus consulaire, il s’agirait de se prémunir d’un danger politique que constituerait un déplacement de Monsieur Puigdemont dans un restaurant de Figueras. Peu crédible, le chef de l’autorité est bien plus pointu, l’interdiction de passage serait disproportionnée, d’autant que comme expert en matière de sécurité, la biographie du chef l’attestant, les moyens pour que ce monsieur aille manger ailleurs qu’à Figueras existent au niveau européen. Erreur de nouveau.
Vu dans son ensemble et sans raison raisonnable, tout cela ressemble à l’image d’un capitaine qui dans sa cale bouche « le trou » avec son index pendant que toutes les planches de sa nef se disloquent au point que crabes et poisson s’installent dans l’espace du navire.
Il y a donc un très mystérieux motif expliquant le sacrifice de ce marin.
J’ose à peine mentionner l’hypothèse qui suit. On la raconte dans les cafés, j’en ai été témoin, et pas qu’une fois. Afin de ne pas laisser une once d’amateurisme dans ce bilan, j’anticipe la conclusion, cette hypothèse ne peut-être le motif. Ce serait trop drôle.
Et pourtant, en juin de cette année il y eut un incident au col de Banyuls-sur-Mer. Élus et citoyens croyant le danger écarté et fort d’un avis qui permettait de libérer les blocs de béton de leur prison, tous se rendirent au col pour ouvrir la veine obstruée pour raison d’État. Grave erreur, le préposé-chef-chef fit savoir que son autorité était bafouée et que cette désobéissance manifeste des citoyens justifiât d’un contre-ordre. Celui-ci fut édicté, définitif, affirmatif, et mis en œuvre dans l’instant. L’incarcération du béton sur ce col allait se prolonger, leur sursis tombait. Le motif serait donc une vilaine colère de notre décideur comme celle qu’eut en son temps Grandgousier, ce protecteur des fouaciers de Lerné.
Le responsable de notre sécurité aurait-il été emporté par son fort caractère ? Quand on sait qu’une colère qui dure plus de quelques minutes est plutôt une maladie !
Lecteurs nous vous avons averti, ce ne peut être la bonne raison, elle serait inimaginable, le grade est trop important, il n’est accessible qu’à la froideur analytique. Là haut on a lu Sun Tzu, ce guerrier admirable par la distance qu’il conseillait à tout velléitaire en rajoutant à l’adresse de ses disciples : « Dites aux gens ordinaires ce qu’ils veulent entendre ». Il semble donc difficile d’apporter une juste réponse, en tout cas qui soit d’Etat.
Dans le doute, terminons sur un conseil littéraire : il est temps de relire Rabelais et deux fois au moins le dernier chapitre, celui où l’on peut lire que faisant suite à son petit énervement Grandgousier engagea une guerre totale qui ne fut pas un franc succès.
Ah! Rabelais, ce fin observateur des petites choses qui ont une valeur universelle.
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