L’étude montre comment à partir d’un texte mystique du Vème siècle, un des premiers bâtiments gothiques est conçu. Ce qui est intéressant c’est de comprendre comment la volumétrie interprète le « sens » du texte par des moyens purement géométriques et finalement « plastiques » indépendamment de toute croyance.
C’est le cas pour tant d’exemples. Ainsi les peintures d’annonciation à la Vierge Marie sont toutes montées sur le même modèle. Vierge à droite, ange à gauche selon un canevas immuable, à de très rares exceptions, où les personnages sont inversés. Pour autant celles qui ont résisté au temps sont celles dans lequel le peintre introduit des innovations picturales, elles indépendantes du message. Ces insertions font que seules quelques unes de ces peintures, les plus innovantes, traversent le temps et nous touchent encore comme les vraies permanences atteignant l’oeil.
Jacques Lavedan Architecte en Chef des Monuments Historiques qui à la charge de la Basilique Saint Denis est sollicité pour envisager la reconstruction de la flèche Nord démontée pour cause de foudre et instabilité. Ici il ne s’agit pas de discuter du bien fondé de ce qui doit être reconstruit de notre patrimoine. Un débat existe et Jacques Lavedan pouvait avoir ses doutes….
Olivier Tubach et moi-même dans le cercle des amis de Jacques avons proposé de réaliser un modèle 3D de la basilique. Ce qui fut fait mais avec un logiciel entièrement conçu par nous, c’est-à-dire « home made », à partir d’algorithmes que nous imaginions en fonction des relevés sur papier, puis développés sur une vieille station graphique qui marchait sous langage Unix et C++ ».
Aujourd’hui les logiciels même bas de gamme peuvent parvenir à des résultats autrement spectaculaires.
Mais pendant ce travail nous nous sommes intéressés à la genèse des qualités spatiales du gothique qui nous interrogeaient au fur et à mesure que nous avancions. En marge du travail pour Jacques Lavedan, une hypothèse sur la mise en espace du gothique nous vient à l’esprit. C’est cela qui suit en très simplifié.
Les édifices religieux sont « orientés » porte vers le levant. Orienté étant le mot convenable étymologiquement.
L’axe de la nef de la Basilique Saint Denis présente un décalage Est Ouest de 19°, donc avec un azimut de 109°.
En temps solaire cette direction correspond au lever du Soleil du 3 au 11 octobre, à une approximation près due soit à un décalage calendaire qui varie avec les siècles, soit à cause des obstacles dans le proche entourage du site qui masquaient le lever à l’horizon.
Or ces dates correspondent selon le grand dictionnaire de Moreri (1732) à :
3 octobre en l’an 50, mort de Denys l’Aréopage d’Athènes,
9 octobre : vers l’an 272, mort de Denis évêque de Paris dans les calendriers modernes
11 octobre : mort du même mais selon une autre version
Il reste également Pseudo- Denys l’aréopagite, probablement un moine du Vème siècle parfois confondu avec celui d’Athènes, dont les textes mystiques indiquent une direction d’ordre spirituelle qui six cent ans plus tard se transpose dans l’espace, tout particulièrement dans la « rose » avec les vitraux . Un texte du Pseudo- Denys l’aréopagite laisse entendre que la lumière, forcément divine est primordiale au « seuil même de son sanctuaire »
« Qu’il en soit comme on à dit. Comme notre Soleil, en effet, sans réflexion ni dessein mais en vertu de son être même, éclaire tout ce qui est en mesure, selon la proportion qui convient à chacun, de particulier à cette lumière, il en est certainement de même du Bien, et c’est à tous les être que proportionnellement à leur forces, il distribue les rayons de son entière bonté.
Tout ce qui concerne la hiérarchie céleste, ces opérations par quoi se parachève leur perfection angélique, tout cela procède de la bonté latente en eux, de devenir vraiment des anges, colporteurs du silence divin, comme des lumières révélatrices pour le manifester au seuil même de son sanctuaire.
Le bien est également cause des principes célestes et d e leur limitations, de cette substance qui ne croît ni ne décroît, exemple de toute mutation, et cause aussi du mouvement pour ainsi dire silencieux de l’immense route du ciel, de la disposition des astres, de leur harmonie, et de leur lumière, de leur fixité et tout ensemble pour quelques uns de la multiplicité de leur course vagabonde, et non moins de la trajectoire périodique entre les deux bornes stables de ces deux luminaires que l’écriture qualifie de grands, qui se définissent pour nous les jours et les nuits, qui mesurent les mois et les années, qui limitent les mouvements cycliques du temps et de tout ce qui est soumis au temps.
Singulièrement quelles louanges ne ferait-on pas du rayonnement solaire? C’est du bien, en effet, que lui vient la lumière et il est lui même l’image du bien en l’appelant Lumière, puis qu’à travers l’image c’est le modèle qui se révèle. Il en est ainsi de l’image où se manifeste la Bonté Divine, ce grand Soleil qui est toute lumière et dont l’éclat ne cesse jamais parce qu’il est un faible écho du bien, et celui qui possède une lumière débordante et qui déverse sur la totalité du monde visible, à tous les échelons de haut en bas, l’éclat de son propre rayonnement.
Et s’il advient que ceci ou cela n’ait point part à ce rayonnement, n’accusons que l’impuissance réceptive de ce qui est trop pauvre pour participer à la lumière «
Ce texte est un véritable programme architectural, L’abbé Suger le connaissait très bien.
Observations :
Le jour des équinoxes, à +- 13 h solaire le soleil est orienté selon l’axe du transept et la lumière qui passe au travers de la rose se projette au sol selon une ellipse inscrite exactement dans la croisée nef/transept.
Ce qui signifie qu’entre l’angle du soleil, le diamètre et la hauteur de la rose, la largeur de la nef et du transept existent des proportions qui se déclinent l’une sur l’autre.
Avec une seule donnée solaire, et en tenant compte des moyens techniques de l’époque (hauteur possible, calcul des efforts sur des éléments architecturaux), tout l’ensemble volumétrique de la Basilique est composé.
Pour les solstices d’été et d’hiver, l’observation est plus difficile mais semble également induire une suite de dimensions, hauteur des galeries, chapiteaux en pieds d’arcs, également résultantes de ces observations.
Ce qui nous a intéressé c’est que la forme a été générée par un raisonnement logique dont les arguments sont l’orientation, la position du soleil et les possibilités techniques. Tout est organisé à partir de faits simples,vérifiables par tous, et transposés dans l’espace.
La basilique est réalisée selon ces préceptes, et c’est bien ce qui la distingue, avec d’autres monuments, d’une approche architecturale qui prendrait « des formes » à priori, ou par la reconduction d’un modèle. Bien sur il y a une part de cela, mais ce qui séduit l’oeil aujourd’hui est l’ensemble de rapports et proportions qui finalement sont le résultat d’un raisonnement qui pourrait être le même de nos jours. Rien de mystique…..
Un commentaire
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L’analyse est brève, très condensée et instructive. La citation du Pseudo-Denys, d’une très grande beauté, en effet peut se lire comme un programme en qq sorte dicté par la lumière. Et que celle-ci soit ou non une émanation de la Bonté divine, n’y change rien. Les textes de Germinal nous apprennent/rappellent souvent qqch de fondamental (cf., par exemple, « Slogan m’a tuer » avec lequel cette « lecture » de la Basilique entretient des rapports). A nous, et surtout parmi nous d’autres architectes, de savoir les lire.