Henri Baills[1]
Agitateur Culturel.
En une page c’est impossible, alors résumons. De sa ville il est le seul à tout savoir. Tout. Ce fait lui confère, de par une imparable logique, le statut de satellite d’observation géostationnaire. De plus il est couplé à une capacité de stockage de données tout à fait remarquable. Il contient donc le patrimoine historique, social, politique et surtout passionnel de son village. Un ensemble collecté pendant plusieurs générations grâce au métier de sa lignée. Sa famille et lui-même, pendant plusieurs décennies, ont écouté le village entier lequel venait s’accouder au comptoir en zinc de son ancien commerce et rendre compte de la vie locale. La plupart des sources précieuses et inestimables sont à mettre au crédit de ses très fidèles amis et consommateurs, peu avares de confidences et de détails utiles à la bonne interprétation des faits. Citons ici l’exemplaire Jeannot Rosa qui, je crois, fut cofondateur de cette chapelle du sens. C’est là qu’intervient la qualité supérieure du sujet Henri. Il ne diffuse rien, pas la moindre fuite, ou plutôt pas de fuite inutile ou vengeresse. Seules quelques bribes suffisantes de par la qualité de leur contenu, pour faire avancer les choses de la cité. Henri est une sorte de magistrat d’une Athènes en Roussillon. Ce haut personnage antique sait glisser à la cantonade un propos qui fera sa pelote de passions nouvelles, ou initiera d’habiles subversions. Alors qu’il dispose de l’arme absolue, il en fait un usage pondéré et démocratique. La preuve c’est que vous pouvez le voir faire avec la même attention toute l’année sans que personne ne lui fasse grief. Il est salué par tous, sincères ou dévots. Pour aller chercher du pain, après une rapide évaluation de la situation, il organise son parcours pour limiter le temps des politesses et évitant de nuire à l’équilibre social. Il choisit alors de préférence de rues moins fréquentées. Cette disposition étant utile pour maintenir une tension douce et légère tout à fait suffisante dans la cité. Elle reste ainsi inoffensive. La grande place du village est son Agora, et il en dispose pleinement dès que le soleil et son calendrier le lui permettent. Ce sont ses moments de gloire. Quand on pense que des gens payent pour des consultations de la parole alors qu’il y a ici Henri, tout en culture, la vraie, en mouvement et gratuite. Mentionnons la profondeur de son sourire et la finesse de son regard. Il ne laissera jamais transpirer une seule des horreurs de nos existences ou de la sienne. Ces misères là il préfère les garder. Le temps lui a donné la dimension d’un grand diplomate et il est de nos jours tout en sagesse. Il y a aussi, mais là il s’agit d’une expertise annexe, son catalogue unique de savoir faire en matière d’apéritifs rafraîchissants. Il eut été injuste de ne pas le rappeler, car cela aussi est d’ordre patrimonial.
Il fait grand beau, le voilà se promenant doucement parmi les terrasses de café qu’il l’ont vu naître. Son nez pointu indique le lieu de son prochain forum. La mémoire est le plus gros morceau d’une culture, certes, à condition qu’elle puisse faire fi de toute nostalgie, qu’elle puisse se lire à l’aune d’un devenir. De cela il en détient les clefs pour sa ville. Henri, au quotidien, s’oppose absolument seul à l’oubli de tous.
La passion selon Pasión 1
Dans cette rue ancienne tout en escalier de pierre, Pasión a donné vie à un phalanstère. Il est bien organisé autant par la gouvernance qu’elle y prodigue que par la discipline librement consentie des adeptes. Ceux-ci se réunissent deux fois par jour avec elle, avant mâtines et après les vêpres, pour célébrer la joie promise. Pasión a la charge essentielle de fournir aux enfants de cette harmonie universelle, soin et nourriture. Ainsi du seuil de sa petite maison, après avoir ouvert de nombreuses boîtes de nourriture en conserve, elle la distribue judicieusement en rations égales à la vingtaine de sociétaires présents, des chats qui viennent célébrer avec détermination leur hostilité aux perversions issues du travail. Ces derniers respectant le rite et la règle sont bien rangés en ordre sur les gradins que forment l’escalier selon, leur sexe, leurs affinités et leur robe. Les malades chroniques de pelade ou de coryza, ne sont pas rejetés mais tout au contraire assis sur les margelles des murs composant les bacs à fleur de la rue. Si Pasión en voit un de timide, un nouveau probablement, elle lui réserve sa part et le protégera des quelques écarts que de gros matous pourraient imaginer. Pasión doit aussi défendre sa phalange de très cruelles actions menées par un voisinage pour qui les miaulement nocturnes, pourtant d’amour, ne sont que des nuisances. La méchanceté avec laquelle les chats sont pourchassés, voire pire n’est que l’expression de leurs frustrations. Ils voient ces animaux comme transgressant une morale qui leur est pourtant étrangère. Admettons toutefois, il y a bien quelque gêne, mais saisonnière, pas plus. La passion de Pasión est probablement née des grandes souffrances qu’elle-même a subit depuis son enfance dans une Espagne de violences anciennes. Mais Pasión a obtenu ici dans cette rue de vieux village, la rédemption de tous ceux qui l’ont méprisée, cela grâce au soutient inconditionnel de cette gente féline mais également de par le coût très abordable des sacs géants de croquettes. Comme ces chats, Pasión déteste les charlataneries commerciales[2], qui divisent les hommes et en font des prédateurs. Il faut voir ces réunions où règne le calme, le silence de cette légion au moment de la distribution. Pasión pose les questions usuelles à tel ou tel, s’informant sur les derniers événements importants, naissances et disparitions en particulier, l’essentiel en quelque sorte. Elle connaît le nom de chacun. Dans cette rue ancienne tout en escalier de pierre, Pasión a donné vie à son phalanstère. Dans cette rue quelqu’un au moins sait encore rêver.
[1] Pasión: Habite Banyuls-sur -Mer.
[2] Termes en italique voir : François Marie Charles Fourier.
Laissez un commentaire...