Récits – Germinal Rebull https://germinal.rebull.fr Le site de Germinal Rebull Sun, 31 May 2015 14:33:26 +0000 fr-FR hourly 1 La visite continue https://germinal.rebull.fr/la-visite-continue/ https://germinal.rebull.fr/la-visite-continue/#respond Fri, 27 Mar 2015 09:53:32 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=1311 Quand il trônait dans son magasin de meubles d’occasion, et hors la présence de toute clientèle, sous la forme d’une quasi-confidence, Fournier évoquait ses recherches destinées à nourrir l’humanité entière grâce à un procédé agricole tout inventé par lui. Et là dans cet immeuble, il nous tenait, il allait nous prouver son immense savoir. C’était […]

Cet article La visite continue est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
Quand il trônait dans son magasin de meubles d’occasion, et hors la présence de toute clientèle, sous la forme d’une quasi-confidence, Fournier évoquait ses recherches destinées à nourrir l’humanité entière grâce à un procédé agricole tout inventé par lui.

Et là dans cet immeuble, il nous tenait, il allait nous prouver son immense savoir. C’était l’occasion pour nous en mettre plein la figure. Prévost et moi, seuls dans le labyrinthe, sans issue et sans aucun secours immédiat, il tenait son audience. On le sentait préparé, il avait lâché quelques mots par-ci par-là à la cantonade, que c’était ici, dans la réserve des pauvres, qu’il avait son laboratoire et qu’il allait nous faire une surprise, car il voulait nous distraire de notre malaise occasionné par la visite de sa favela en étage. Il avait bien vu nos têtes d’enterrement, il devait se redorer.

Sur les inventions botaniques d’Armand, Bill nous avait déjà prévenus, mais en se marrant, comme toute la faune qui gravitait autour du magasin. Des alcooliques de métier, d’autres déménageurs, quelques ébénistes ou luthiers, les voisins, la petite taulière du restaurant italien mitoyen du magasin, presque tout le quartier vraiment qui rigolait dans le dos d’Armand dès qu’il avait terminé un petit récit de sa savante composition. Il avait peu de soutien populaire pour ses fables. Armand Fournier quand il était fâché, leur servait de vraies leçons, de magistrales incantations scientifiques, juste pour les humilier. C’est qu’il avait des amis haut placés dans des laboratoires de recherche des universités de Cambridge, surtout à Tufts University où il était reçu, affirmait-il, comme un messie. Et bien au-delà, jusqu’à Montréal où il avait passé le gros de sa vie. Mais devant la bande d’ignorants du quartier indifférents aux misères du monde, il laissait planer des abîmes de mystère sur ses connaissances, par omission principalement, il laissait juste passer les titres de son grand œuvre, pas question de rentrer dans les détails, nous étions indignes, alors que tout était consigné et hautement confidentiel. Rien à faire pour avoir le début d’une précision. Seuls ses pairs, des chapelles de savants étouffés de jalousie, étaient habilités pour écouter sa messe botanique.

Mais ici dans la pénombre des couloirs puants, Armand allait dévoiler sa science.

Cela consistait à faire pousser fruits et légumes, non pas à leur taille normale, mais dix fois plus gros nous dit-il.

Il suffisait d’y penser et Armand avait trouvé la chimie géniale. Toute la question était de comprendre comment les sucs fondamentaux pouvaient s’exprimer pleinement grâce à cette procédure inventée par lui, celle où l’épuisement des sols était un fait inconnu et où la puissance nourricière de la terre était libérée. Alors là, dans cet immeuble rempli de viande fatiguée, il nous invite dans un box, celui dans l’angle de l’immeuble, au dernier étage, le seul avec deux fenêtres au Sud. Il pousse la porte sans manière, il est chez lui. Un vieux y logeait bien entendu, assis dans un fauteuil dont le velours est laqué par des couches de crasse, affichant un sourire préparé d’avance. Il avait entendu les éclats de voix dans les couloirs, la claironnante visite d’Armand, les engueulades pour loyers impayés. Le vieux, il la calculait bien l’intrusion du propriétaire supposé. Ce locataire-là faisait moins misérable, mais tout aimable et soumis. Son box plus grand se distinguait des autres par deux mètres carrés de rabiot, de la lumière, et devant les deux fenêtres, des pots avec de véritables arbres, un citronnier et un oranger. Une vraie oasis dans cette grisaille. Après les mots d’usages pour nous excuser auprès du vieux, Prévost et moi nous nous retrouvons devant les végétaux, le citronnier porte deux fruits gros comme des melons, il disait vrai Armand, frétillant derrière nous de l’honneur qu’il faisait de nous permettre la visite de sa pépinière cosmique. Il observait nos visages merdeux qui avaient osé douter de son excellence. Il était tout excité, sa salle chauffait, il allait s’envoler. Devant le citronnier, il commence à déballer sans retenue, il caresse les citrons géants comme un chirurgien reconnaît la surface d’un abdomen qu’il s’apprête à bêcher au bistouri. On voit les manchettes de sa chemise qui encadrent ses mains grassouillettes, elles sont comme le velours du fauteuil du vieux, amidonnées à la sueur. Nous ne pouvions pas voir la terre dans les pots, seulement un tas de cheveux de toutes les couleurs, des bouclés, des crépus, des roux, toute la tapisserie répugnante d’un carrelage d’un salon de coiffure.

— Vous comprenez, tout est là !, les cheveux c’est pour que les ions positifs récoltés par les systèmes pileux nourrissent la plante.

Nos visages forment instantanément des points d’interrogation.

— Le soleil dehors, il charge les cheveux de tout le monde, ne savez-vous pas ?

Armand sent la piaule prête, l’ambiance y est, rideau ouvert, rai de lumière sur le citronnier qui est comme pour un arbre de Noël sous les tropiques avec comme guirlandes, des citrons énormes gravitant dans les branches. Prévost et moi on est figés à cause de toute cette nouvelle science juste énoncée et surtout devant ces prototypes de la corne d’abondance d’une ère à venir, la disparition des famines. Le petit vieux de service, ce spectacle il l’a déjà vu, mais il fait la claque quand même, il dodeline de la tête, il acquiesce et c’est son intérêt, car Armand ne supporterait pas dans la crypte à fruits un dissident, un traître. Non le vieux est dans son rôle, il participe, il vote pour à chaque oracle proféré par le seigneur des lieux.

Après un silence, Armand se racle la gorge, son costume guimauve pète dans le décor, on ne voit que cela, il n’y a plus que lui et les citrons. Nous les spectateurs, nous sommes en arrêt. Ce silence c’est comme être en bout d’une piste d’envol idéale où tous les vents sont favorables et la météo excellente. Devant la fenêtre et le citronnier, Armand entame son discours inaugural et déballe ses formules botaniques uniques, tout cela pour un parterre d’ignares certes, mais tous ses obligés. Son succès est assuré.

Armand met les gaz, plein pot il va nous honorer de sa grande démonstration, nous refiler des secrets maintenant qu’il nous tient hypnotisés.

Cela commence par le développement d’un grand principe relatif aux canaux ioniques et de la fantastique vitesse et énergie des particules qui y circulent. Mais plus encore, il s’agit de particules qui ont de la discipline. Tous ces ions bien rangés par spécialité pour les circonstances. Là, les gars du sodium, et à côté complètement en harmonie, la légion potassium, essentielle pour l’engrais, sans oublier les ennemis qui guettent. Tous ces autres ions, tous ceux dont j’ai oublié le nom et qui s’évertuent à contrer le courant bienfaisant, une cinquième colonne capable de faire du citron salé, ultime sabotage. Ce sont des ions hostiles à la bonne gastronomie. Mais Armand sait déjouer les ruses de ces félons, il sait favoriser les bons, ceux du potassium surtout, les prioritaires, et il a ses trucs.

Il nous interroge, pose des questions dont il est sûr qu’aucun de nous n’apportera de réponse, et il savoure notre silence d’analphabètes, il attend pour nous refiler le corrigé dans la foulée. Il en profite pour nous farcir d’évidences longuement mûries par lui. « Ah ! Mais c’est qu’on ne connaît même pas cela ? »

Avec des airs qui nous enterrent plus bas que cons. Il joue le grand mufti, il sait tout, on périra avec la grande masse si on ne signe pas tout de suite en bas de ses feuillets et sans condition. Les énormes citrons nous regardent menaçants, imposent la rémission.

— C’est que les ions, nous dit-il, ils dépendent de l’électricité, de la statique à ne pas confondre avec l’autre, celle des lampes.

Prévost et moi sommes confus de bêtise et à notre âge c’est innommable, on ne sait pas cela que les ions se meuvent alors que l’électricité est statique. Nous, à priori on croit d’abord aux primats du vocabulaire. On est plutôt des littéraires. Alors Armand carrément il nous colle un zéro pointé, en nous sortant que la statique elle est quand même dans le mouvement par la différence de potentiel entre la terre et le ciel comme elle l’est pour la vie. C’est la lutte entre le bien et le mal. Il devient mystique, car c’est comme entre paradis et enfer qu’ils se baladent les ions avant de s’enfourner, convaincu de la noblesse de leur mission, dans les entrailles du citron et de lui craquer les boyaux, violemment jusqu’à le rendre obèse. C’est la différence de potentiel qui les fait bander toutes ces particules et ils jouissent les agrumes là-haut, jaune vif de plaisir, le potentiomètre de leur libido explosé. Et ce sera valable pas que pour eux, ici c’est juste parce qu’il n’y a pas assez de place. Mais qu’on imagine une serre professionnelle avec des citrouilles, des fayots et des bananes. Les bananes géantes cela nous cause, nous les voyons majestueuses, toute l’humanité enfin repue.

corne d'abondance

Il fait le faux surpris Armand, il joue des sourcils, il est bon dans son guignol. Il se pose des questions sur nos origines de crétins, de quels diplômes nuls nous nous revendiquons. Il souligne notre oubli de l’essentiel, notre manque de curiosité, là au moment où sa démonstration imposait que les spectateurs contestent la validité du principe de l’équilibre des particules atomiques, il n’y a que notre mutisme. Il avait bien sûr tout prévu pour arriver à l’acte suivant, puisque pour sa représentation personne ne siffle, jamais, et lui a la réponse, le truc qui vous assomme. Il nous le crache en pleine poire, bien articulé, après un silence de cimetière, et il propose la résurrection de l’humanité, pas moins.

— Les cheveux !! C’est les cheveux !!

C’est eux la pile inépuisable, ils doivent être frais cela va sans dire. N’avons-nous donc jamais remarqué que le plastique du peigne avec lequel on se fait mignon excite notre pilosité et que les cheveux aimantés se mettent à gigoter, oui le plastique et le soleil, c’est là que se cumule l’énergie, la seule et vraie, la statique.

C’est dans le poil fraîchement débité que sans le savoir se logent des forces salvatrices. Il faut aller vite, elle peut déménager la charge ondulatoire électrique, changer de camp sans avertir.

Là, juste posé sur la terre, le tapis de cheveux déclenche le processus immédiatement et n’a pas le temps de filer ailleurs que dans son mouvement ascendant. Les ions défoncés au potassium s’enfilent dans les fibres et vont livrer leur cargaison d’énergie juste au droit du fion des  citrons, et de surcroît ils trucident tous les néfastes pendant leurs assauts fiévreux, Armand est catégorique, la preuve les citrons à l’échelle dix devant nos yeux. C’est la fraîcheur pileuse qui est essentielle et c’est gratuit le Soleil dans les cheveux. C’est un Égyptien le Fournier, pour le coup il vénère le dieu unique. Le Soleil se déverse même l’hiver sur toutes les têtes. Bien sûr il y a les chapeaux et les bonnets, mais en moyenne le cumul reste favorable. Les chauves ne sont pas mentionnés, des dangereux ceux-là, mais une minorité dit-il…

— Alors comme les racines sont en négatif ionique, toute l’énergie des ions positifs est récupérée et remonte dans les fruits. On a compris… Armand se calme, il va conclure et revenir à plus concret.

— Ah, bien sûr qu’il faut arroser et à heures fixes.

Il regarde le vieux qui se cramoisi dans le velours luisant. En réalité, lui c’est un gardien du temple dont le confort ne doit dépendre que de son assiduité et de sa constante application pour appliquer des remèdes jardiniers. C’est le prix pour résider dans ce box de luxe, veiller sur les citrons et sur la seule orange de l’autre pot, cette dernière aussi atrophiée, anormalement géante.

Le règlement pour conserver le privilège de résider dans le box de prince est strict. Le vieux doit même se lever les nuits de pleines lunes, celles qui s’opposent à la première ligne des troupes d’ions ascendants, c’est dans tous les bouquins que la pleine lune est malfaisante

— As-tu arrosé à dix heures vingt ?

Car le planning d’arrosage et de renouvellement des cheveux dépend des saisons et de la cartographie astrale. C’est très technique de faire pousser des fruits géants, il faut arroser selon un horaire qui varie avec le ciel. Pour l’assistant-jardinier, c’est du boulot.

— Ne me fout pas l’expérience en l’air hein ? Ce serait criminel.

On n’en doute pas, un oubli serait fatal pour l’ancêtre de service, il se retrouverait vite fait aux soutes pour atteinte à la vie des futures récoltes et compromettre la survie de la planète.

On ose poser la question sur la logistique. Il s’y attendait Monsieur Fournier.

— Des cheveux coupés de frais ? Mais j’ai mon réseau de contributeurs, ils me ramènent des sacs de cheveux du jour même ! Tout est là, des cheveux frais du jour.

Un cycle économique sans faille presque gratuit, car bien sûr il devait bien avoir une petite compensation aux livraisons de poils, un petit billet. C’était les gamins du quartier qui assuraient la collecte des cheveux à la grande joie des coiffeurs qui se débarrassaient de leurs saletés dont dépendait l’espoir de nourrir les futurs milliards de citoyens de la Terre.

— Bientôt je ferais des essais avec des poils d’animaux, mais c’est moins régulier que le poil d’homme, vous savez cela, les bêtes on reste tributaire des périodes de tonte.

Donc pour que la production soit continue, c’est plus compliqué il n’y a pas de doute. Enfin nous on n’ose plus solliciter d’Armand un complément d’information, d’autant qu’il entame la dernière partie de son récital et il vibre, les larges plis de son pantalon dansent pendant que ses bras parcourent toute la plante. Son visage est vermeil de plaisir, il a trois spectateurs qui ne contestent pas. Nous acquiesçons par-ci par-là au fil de ses déclarations surtout pour ne pas l’interrompre, ce serait dangereux et comme il nous doit quelques dollars pour le boulot, on ne voudrait pas qu’il nous colle une amende. On laisse filer son concert, mais on ne demande pas de rappel non plus, on veut fuir.

Plus tard, après avoir ramené le meuble vers la boutique, Armand nous ayant abandonnés, il nous a fallu du temps pour remettre tout en place dans nos têtes.

Le fait qu’Armand puisse avoir des marottes, cela n’était pas trop grave, maintenant nous allions rejoindre la cohorte des moqueurs du quartier, c’est tout. Mais les visages des vieux restaient là à nous regarder. Les économistes pouvaient bien se défoncer, proposer des petits logements familiaux avec plein d’électroménagers, la voiture sur le gazon devant le garage, rien de tout cela n’était assez puissant que ce désir accroché comme une tique en nous, désir qui nous transforme en prédateur du premier type croisé au hasard sur un trottoir. Alors c’est qu’aux deux extrémités du mécanisme quelque chose était en trop ou au contraire manquait. Il fallait trouver quoi et ce n’était pas pour tout de suite. Ce soir-là, Prévost et moi avions presque honte d’avoir un boulot, pourtant pas bien reluisant. En ayant honte, nous pensions être solidaires de la misère. À cet instant nous n’avions que cela.

Bouffer ce soir aurait été indigeste. Alors on a bu.

Cet article La visite continue est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/la-visite-continue/feed/ 0
L’immeuble de Porter Square https://germinal.rebull.fr/limmeuble-de-porter-square/ https://germinal.rebull.fr/limmeuble-de-porter-square/#comments Sun, 14 Dec 2014 13:15:47 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=1286 Cambridge, Massachusetts 1967 1- Armand Fournier a un magasin de meubles d’occasion dans le nord de la ville. 2- Bill Eyre Brooks livre les meubles de Fournier avec son vieux pickup. 3- Prévost et moi on gagne un petit billet de temps en temps en aidant Bill… Voilà, c’est simple.   À Porter Square l’avenue passe […]

Cet article L’immeuble de Porter Square est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
Cambridge, Massachusetts 1967
1- Armand Fournier a un magasin de meubles d’occasion dans le nord de la ville.
2- Bill Eyre Brooks livre les meubles de Fournier avec son vieux pickup.
3- Prévost et moi on gagne un petit billet de temps en temps en aidant Bill…
Voilà, c’est simple.

 

À Porter Square l’avenue passe au-dessus du chemin de fer, et au bout du pont, il y a un immeuble donnant tout à la fois sur l’avenue et sur les rails en contrebas. Il est typique de la Nouvelle-Angleterre, tout en bois, mais plutôt négligé, et rarement on y voit des gens en sortir ou entrer.

Un jour, Armand Fournier demanda à Prévost et moi de l’accompagner pour récupérer un meuble à cette adresse. Un fauteuil vendu probablement à un étudiant d’une des universités justes un peu plus loin vers le centre de Cambridge. Fournier affirmait que cet immeuble lui appartenait. Proprio qu’il était, pas moins. Or Bill, le chauffeur attitré, distillait de rares confidences pendant les heures de travail de déménagement, mais il se marrait rien qu’en entendant le mot « owner » de la bouche de Fournier. Il savait qu’en fait ce dernier louait ce bâtiment à un quidam qui lui-même l’avait loué au vrai propriétaire, lequel inconnu de tous, avait fui depuis des décennies le nord de Cambridge et encaissait les loyers en Floride ou ailleurs au soleil.

Ce montage de sous-locations en abîme bien déguisé en propriété, c’était parfait dans les calculs délirants de Fournier dont l’unique souci était d’exister comme un notable sur le Square. C’était une nécessité absolue. Sa cravate, rose-pastel et cependant tachée, attestait de sa volonté d’être vu et respecté. Il fallait donc qu’il soit propriétaire.

Comme sa boutique se trouvait à une minute du square, nous nous rendîmes les trois à pied avec un diable pour rouler le meuble.

Une fois dedans, dans notre dos, la porte close atténuait la rumeur automobile de Massachusetts avenue. Il régnait dans la pénombre du palier de l’entrée un silence illusoire, conséquence de notre étonnement. Devant nous, le hall de départ de l’escalier était bien particulier, de tous côtés délimité par des portes adossées à l’escalier et juste clouées sur le garde-corps, condamnant l’habituel couloir latéral. Au premier étage, tout de suite au bout de la volée, pareil, un autre palier clôt par une série de portes brutalement vissées dans les boiseries anciennes. Toutes les circulations normales pour cet immeuble typique avaient disparu et où que l’on regarde, seules des portes nous faisaient face.

Armand ouvrit l’une d’elles donnant sur un mètre carré de plancher distribuant trois autres portes. Des cloisons en planches à peine jointes avaient dû être rajoutées. Nous étions dans un labyrinthe. Chaque porte passée, d’autres portes encore. Armand avançait dans cet étrange décor sans hésiter, parfait navigateur et le cap assuré.

Il franchit la porte la plus éloignée du palier. Derrière se trouvait une espèce de box délimité par du contreplaqué et des cartons d’emballage. C’est à la lumière d’une ampoule que nous découvrîmes un vieillard, là, simplement assis sur une unique chaise. Il y avait un lit avachi et crasseux. Chaise et lit correspondaient à la surface des lieux. Il ne restait aucune autre place, c’était une espèce de chambre dont la largeur était celle du matelas et dont le côté latéral laissait entrevoir une vague portion de fenêtre. Cette cloison en carton allait mourir en plein milieu d’un bois de la fenêtre dont l’autre partie appartenait probablement à la cellule voisine. Le triste visage de ce locataire tourné vers nous expliquait tout. Nous commencions à comprendre et Armand voyait sur nos têtes s’afficher l’expression de la réprobation. Il coupa court et se vanta, sec et autoritaire, histoire de rendre vaines toutes les critiques. Nous devions le féliciter d’avoir ici créé un « home » pour nécessiteux, c’est cela qu’il nous dit.

colonne visage 22

Dessin de Flora Rebull

 

Derrière chaque porte se trouvaient quelques mètres carrés pour ranger le rebut humain. Alors, il y en avait des pauvres, autant que de portes. L’immeuble était une cité d’ancêtres, un silo à clochards, tous entassés et bien silencieux dans ce terrier, comme des taupes. Combien de ces niches Armand avait-il composé dans l’immeuble aux mille portes ? Lui, l’architecte de la misère de tout le quartier ? Et à tous les étages ! Seul l’escalier était libre. C’est qu’installer un couchage en pente n’est pas facile, trop compliqué à faire en planches. Mais nous en avions la certitude désormais, Armand n’était pas gêné de parler de densité, il aurait bien voulu rentabiliser l’escalier, il aurait bien aimé en coller quelques-uns de ces immondes boxes dans le volume libre, il aurait pu disposer d’un petit extra de gueux dans tout cet espace laissé vide. Mais il fallait éviter les humiliations dit-il, car les vieux, dormir dans un escalier, ils ne voulaient pas, ce n’étaient que de mauvais souvenirs. Fournier avait cédé, fait une concession. Du coup, l’escalier paraissait immense, une piazza, le seul endroit où une goulée d’air, aussi lourd fût-il, était encore une brise.

Quand il ouvrait une porte en la poussant, on dérangeait inévitablement un citoyen de l’oubli qui levait alors péniblement son regard vers Armand. Cette intrusion n’était manifestement pas souhaitée, le poids des paupières fatiguées par la malnutrition et l’ennui empêchait l’enthousiasme. Les vieux préféraient éviter de voir le taulier à tout jamais. Car en plus du meuble à récupérer quelque part dans cette fourmilière, Armand venait prélever les loyers des reclus, et aucun ne pouvait dissimuler la terreur qu’occasionnait cette inopinée et lucrative visite. Armand avait transformé l’immeuble en ville dédiée à une misérable gériatrie. Lui considérait cela comme une action généreuse, certes contre redevance, mais bien entendu indispensable. Où iraient-ils tous ces gens blanchis par la lumière des quelques ampoules ? Dans la rue ? Dans le froid ? Les ampoules étaient d’ailleurs rares ici, par souci d’économie, le jus était facturé en extra. Combien palpait-il Saint-Armand par tête de son bétail parqué en face de Porter Square ? Et puis il profitait de la visite pour régler les contentieux, les plaintes pour nuisance sonore, l’excès de blattes, les dénonciations pour des trucs sexuels, car il y avait aussi des femmes là-dedans, pas beaucoup, mais allez savoir quelles partouzes se jouaient ici et à toute heure, les dernières secousses de vies fripées. C’était la norme dans Armand’s lupanar, et probablement à la vinasse bon marché, une fête le jour du versement des allocations et pensions. Impérial, il tranchait aussi à propos des luttes territoriales, égrenant ses sentences sans recours. Une cloison en carton cela se déplace, cela fléchit, cela envahi l’un, dépouille l’autre de quelques centimètres carrés. Rien de pire que la juridiction sur la mitoyenneté, tout le monde le sait, les tribunaux sont submergés par les dossiers.

Armand Fournier était féroce, très habile quand il s’adressait à ses résidents. Une voix basse légèrement tremblotante comme dans un film de vampire, celle qui fait peur au ciné. Pas de rébellion possible, la sanction était immédiate. Quand un vieillard essayait de japper fort, c’était la rue, et Cambridge la nuit c’est le jardin de jeu d’une flicaille peu aimable. À sa requête des loyers, les vieux répondaient par de faibles gémissements, bafouillant des excuses pour le retard dans le paiement, du chèque qui arrivera demain, dans quelques jours au pire. Armand connaissait tous les articles, il anticipait, il les aidait pour accoucher en reprenant chaque tentative de justification.

« Mais oui le courrier marche mal, n’est-ce pas ? Je sais, je comprends… »

Le chenil de Fournier était à tous les étages. Il nous faisait une visite tellement officielle que l’on pouvait croire qu’il lisait un dépliant en papier glacé proposant de véritables croisières, des arrangements adaptés et personnalisés pour la fin de vie des démunis. Nous avons tout visité, sauf les sanitaires et c’est la seule chose dont on pouvait remercier Armand. Mais on les a repérés à l’odeur, forte, suffisante pour évoquer l’image d’une cuvette ébréchée ou bouchée, de celle qui invite l’égout chez vous dès que l’on tire la chasse, même si vous êtes au dernier étage.

Nous n’avions pas le droit de nous éloigner et le meuble que nous venions enlever était en haut, un fauteuil défoncé, extrait d’une piaule vide pour cause de décès. Tout sourire Armand il nous rassure, demain elle sera occupée la carrée, c’est mieux à flux tendu et prouve que c’est très demandé, un succès populaire l’immeuble du pont du chemin de fer, une authentique contribution sociale et municipale.

Prévost et moi on était devenus aussi pâles que la tribu en moins d’une demi-heure, pas plus. On venait d’une avenue au bout de laquelle se trouvaient les cinq universités les plus chères de la planète, réparties dans de jolis parcs pleins d’étudiants à la mode et bien coiffés, capables de concevoir l’économie de jours meilleurs pour l’humanité tout entière, tout cela consigné dans de riches documents, comportant toutefois de très discrets alinéas pour mentionner l’éventuel problème des poivrots pour cause de désespoir familial. Quelques renvois bibliographiques ayant trait aux abandonnés par femmes et gosses. La morale, dans les thèses, cela fait des points en plus. Tous ces doctorants des cinq continents, et j’en connaissais, étaient si habiles à faire des graphiques glorieux sur l’évolution de la société, qu’ils étaient à l’évidence capables d’abolir en même temps, les violences sur femmes et les calamités climatiques. Ils pouvaient gratter les étudiants, les futurs acteurs de la grande machine, ils en rendaient des devoirs jolis, ils en avaient des manuels pleins de marque-pages pour les chapitres qui condamnaient la ségrégation et la chasse aux clandestins. Toutes ces forces nouvelles, elles justifiaient presque de l’immeuble de Porter Square. Pour tous ces théoriciens, il serait un prototype remarquable et exemplaire, à cinq minutes des amphithéâtres, le passage obligé par les origines pour marcher vers un avenir joyeux. Ils ne l’avaient jamais visité l’immeuble.

Et Armand faisait le guide de cet astre méconnu, il en développait les grands principes, rendant limpide les cieux où se meuvent des météorites de merde, celles que l’on évite de regarder trop attentivement à la grande lunette de l’observatoire de la vie, des fois que l’une d’elles décide de dévier de son orbite pour venir nous percuter, attirée par notre curiosité, venir chez nous pour bien nous expliquer. Valait mieux ignorer cette balistique, la laisser à de vrais savants. Je croyais encore que les choses étaient en mesure de s’améliorer, et là, je comprenais que l’avenir c’était cela, les décennies à venir seraient de cet acabit, le temps marchait au pas de nos penchants profonds, les pires. La perspective magnifique c’était l’épicerie mondiale avec n’importe quoi en boutique, toutes les cames allaient être négociables, la preuve était écrite sur les murs suintants de cette résidence. C’est les notes de fin de page qui allaient prospérer. Cela n’arrivait pas à des milliers de kilomètres, ce n’était pas un reliquat des siècles passés, non, nous étions déjà tous dans les mêmes rayons du supermarché planétaire, les uns sur les autres, solidaires si l’on peut dire, et nous ne le savions pas encore. Il fallait vite remettre la couverture sur le lit aux punaises pourvu que le ciel reste étoilé, là-bas, au-dessus des pelouses bien entretenues.

Notre grand astronome des âmes, l’éminent Armand Fournier avec sa cravate crémeuse et son costard rayé, il faisait bien dans cette académie, tout à fait à l’aise, un visionnaire. Nos gueules dérangées ne lui ôtaient pas une once de sa condescendance professorale, vrai doyen de faculté devant l’éternel le père Armand. Des élèves à qui il avait fait faire le tour de son domaine, il y en avait eu d’autres, ce n’était pas les deux rigolos qui bossaient avec Bill qui pouvaient prétendre lui faire la leçon. D’autant que Bill, au dire d’Armand, c’était un suspect, un vicieux, surtout quand il réclamait son dû pour les livraisons des meubles d’occasion de sa boutique « Fournier’s used furniture ». Bill méritait la chaise électrique quand il réclamait ses sous et qu’il présentait motifs et comptes pour son travail, Armand remplaçait sa voix de basson par des couinements quand on lui demandait de l’argent,  alors tout le contraire de quand il venait prélever l’impôt des vieux. Pour sortir des billets verts, il souffrait, il entrait en transe, il réclamait les urgences. Lui, saisi de malaises profonds sans aucun remède connu, il devenait raide, paralysé complètement, les mains empêchées d’arriver dans les poches, mutilées, réduites à des moignons, les yeux lamentables, le nœud de sa cravate secoué par ses halètements d’agonisant. Il lui fallait un médicament, une piqûre calmante, la spéciale. Sa fièvre tombait quand un petit rabais lui était proposé, un arrangement quelconque qui le pénétrait, injecté directement dans une artère majeure, ou une pilule miracle, celle du petit service en rabiot à rendre dès demain, tel qu’un simple détour juste pour déposer un meuble chez cette cliente. Là, il transigeait, on pouvait lui diminuer l’oxygène, il faisait des gestes, les billets sortaient lentement sur fond de chœur tragique, avec quand même quelques spasmes en comptant les coupures, la tremblote aux mains. Donner des billets, pour Armand, c’était faire un don d’organe de son vivant. Il se crucifiait.

Bill étant absent, il fallait bien qu’Armand en profite pour nous éblouir.

Armand, dans son magasin de meubles d’occasion, avait déjà vaguement évoqué ses recherches pour nourrir les futurs milliards d’affamés grâce à son procédé agricole…on allait voir…

Prochain épisode: « les citrons »…la visite n’est pas terminée…

Les deux dessins sont de Flora Rebull

Cet article L’immeuble de Porter Square est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/limmeuble-de-porter-square/feed/ 5
Fusi ! https://germinal.rebull.fr/fusi/ https://germinal.rebull.fr/fusi/#respond Mon, 06 Jan 2014 07:30:44 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=961 C’est la fin de ce championnat, le dernier match !  Ce soir l’orchestre  Verkys & les Veve va revenir chez « Mwana », on fêtera… La musique Zaïroise est dans le vent des plateaux tanzanien  Lisez le compte rendu sportif tout en écoutant  Ah-Ngai-Matinda interprété par Verkys et le super orchestre des Veve. Ambiance!!   Cliquez ci-dessous >>      […]

Cet article Fusi ! est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
C’est la fin de ce championnat, le dernier match !
 Ce soir l’orchestre  Verkys & les Veve va revenir chez « Mwana », on fêtera…
La musique Zaïroise est dans le vent des plateaux tanzanien 
Lisez le compte rendu sportif tout en écoutant  Ah-Ngai-Matinda interprété par Verkys et le super orchestre des Veve.
Ambiance!! 
 Cliquez ci-dessous >>
  

 

 Réglage volume

En fin de saison le commissaire politique nous annonce le prochain rendez-vous sportif où, comme d’habitude, on se fera dérouiller. C’est qu’au fil des matchs on a eu l’occasion d’entrevoir l’avenir du foot africain. Nos collègues de jeu savent rudement taper du ballon, bientôt leurs enfants seront au « mondial » ou exportés dans nos régions pour compléter les équipes en manque d’acrobates. Le commissaire est missionné comme coach de par toutes ses habiles combines pour les voitures les chauffeurs et les bières. On a match dimanche prochain contre l’équipe des gardes de la réserve de Selous et on jouera contre des spécialistes du pistage et du braconnage. C’est très loin, on partira le samedi et il y aura un bivouac dans un petit relais vers Iringa. Même pour aller perdre un match au bout de la province, Fidel et moi on trouve cela bien de visiter du pays. C’est la fin de la mousson et les routes sont moins gloutonnes en bagnoles qu’elles dévorent nappées de cette gadoue spécifique du pays qui a la texture d’une sauce faite exclusivement avec du saindoux rouge pimenté. La météo nous est favorable au dire des catalogues de voyage. Les anciens ne nous disent rien, on a juste droit à un sourire avec des yeux levés vers le ciel. La routine.

Après une journée de route, on rencontre les vraies prévisions. Il ne pleut plus bien entendu et on arrive dans une très jolie vallée, juste avant Iringa. Elle est bien dessinée pour retenir toutes les eaux du Rift, mais on ne le sait pas encore. L’heure du cours de géographie approche.

Quand le convoi atteint le bas de la vallée, la séance de rattrapage commence immédiatement puisque les voitures ne peuvent plus freiner dans la descente et encore moins avancer si cela s’avère utile. Or avancer, c’est bien ce qu’il faudrait faire.

Les chauffeurs s’essayent d’abord au pilotage traditionnel, style local, qui consiste à faire avancer les machines selon des préceptes mis au point en bord de mer par les crabes, soit de travers. Pour les voitures cela évite que les roues passent aux mêmes endroits. On regardera les crabes mieux la prochaine fois, on n’a pas tout compris semble-t-il. Car au début les roues répondent bien, avec l’élan vous comprenez, mais sitôt en confiance elles cèdent aux avances d’ornières dont les lèvres pulpeuses s’ouvrent comme des fleurs à chaque apparition d’un pneu. Les ornières, ces garces, elles acceptent les baisers des gommes inconnues sans retenue aucune.

Et s’il existait une hiérarchie dans notre petit groupe avant d’arriver dans les flaques, cette orgie allait la réorganiser selon de nouvelles règles. En profondeur si l’on peut dire car il va falloir pousser, tirer et faire toute sorte d’efforts pour aider les caisses à passer le fond de vallée. De toutes manières tout le monde descend pour alléger les machines. C’est là que l’expérience de chacun intervient.

Certes le chauffeur de chaque voiture a des responsabilités, assumées selon son expertise, celles qu’il détient vraiment ou celles qu’il croit avoir. Pour certains d’entre nous le choix est de se mettre dans le groupe des pousseurs. Le jugement que ceux-là portent sur le chauffeur varie avec le changement de direction des roues, il est formulé principalement par des jurons. Pendant que le pilote organise le volant et l’embrayage pour le meilleur, à l’arrière du véhicule on prend vite conscience du sentiment de dépendance à son égard, un lien ténu entre savoir et ignorance. Dans cet organigramme, les dubitatifs, ceux qui n’ont pas d’à priori, s’installent en hauteur et loin devant. Ainsi répartis, les manœuvres donnent lieu à quelques figures.

Quand le train arrière de la voiture part en vrille, la boue devient maternelle, les pousseurs se retrouvent dans son giron, ils tètent de la sauce à même le pot d’échappement. Ils la remercient la Terre généreuse.

gadoue1

 

Ceux qui ne savent pas                                                       Ceux qui croient savoir                                                             Ceux qui savent

Quand les roues s’accrochent, on ne sait pas bien très sur quoi d’ailleurs puisque c’est en-dessous de la voiture, dans les tréfonds, dans les abîmes invisibles, alors là tout fuit et on pique de l’avant à la poursuite des jets nourriciers. Dans ce cas, le chauffeur lui aussi paye sa quote-part pour ses erreurs alors qu’il est comme un élastique tordu, les mains sur le volant, les pieds sur les pédales et le buste à la portière ouverte. Ce n’est pas à la portée de tout le monde cette position et elle est à risques. À chaque fois qu’il loupe la manœuvre, ce sont les roues avant qui le bénissent avec de la divine mélasse. Il en prend presque autant que les bénévoles de l’arrière, et le train avant s’occupe de lui, et de lui tout seul.

Tirer par l’avant la voiture n’est guère différent. Il y a moins de boue projetée, mais autant au sol et pas encore mixée, avec de larges flaques dans lesquelles la chute arrière des tireurs présente de bonnes similitudes avec la chute avant ci-dessus décrite.

Pendant ce temps, les vrais experts de la brousse nous regardent de loin, assis dans l’herbe. Le temps du voyage aussi bien que l’heure du match leur sont des notions abstraites. Ils assistent sarcastiques, friands de commentaires et même prodiguant de faux conseils pour nous éprouver et surtout pour se fendre des fois qu’on les écoute. Quand ça marche ils sont hilares. Ils ont raison.

Évidemment, Fidel et moi nous sommes du groupe qui pousse ou tire. Les tranquilles assis dans l’herbe nous refilent de savantes indications que nous suivons à la lettre juste pour faire les bons élèves. C’est souvent inapplicable et dans ce cas, deux étrangers se vautrant dans les ornières sur une piste en Tanzanie, c’est un chef d’oeuvre, le gag de l’année, impayable. Un numéro exécuté dans le moindre détail, Fidel et moi éclaboussés parfaitement ensemble, capable de rejouer le truc deux, trois fois de suite. Le public en redemande, on n’a pas le choix. Les philosophes d’en haut, de leur poste d’observation, ils rigolent encore plus à chaque rappel. Il fallait l’apprendre avant le code de la route d’ici.

Les roues battent cette recette locale, délicieuse mousse qui convie le voyageur à ne plus bouger de sa table et à bien déguster jusqu’à lécher le fond de l’assiette ou attendre patiemment l’addition comme les observateurs impartiaux assis plus haut. Toutes les options ont été essayées selon le degré de sagesse de chacun.

Finalement quand nous sommes presque tous en « croûte » de gadoue, prêts pour l’agonie, un vrai camion avec de grosses roues passe par là et à coup de câble et de treuil nous tire du rouge gluant.  Du temps, un peu de patience, les sages là-haut nous l’avaient répété, il y a toujours un gros camion qui traverse la savane où que l’on se trouve.  Pour en sortir cela a pris des heures. Mais notre commissaire avait bien dit qu’on passerait en deux demi-journées, l’horaire est respecté.

Mais maintenant on se regarde différemment. Nous nous redistribuons dans les voitures selon le poids de boue collée à chacun d’entre nous. Ceux qui savaient se sont assis naturellement sur les sièges à l’avant, ils ont mérité de ne rien faire, ou si peu. Les autres, les crasseux, se sont empilés à l’arrière sans discussion. Le pilote est épargné il garde sa position centrale du groupe, irremplaçable car il a un poste officiel.

Après l’arrêt nocturne dans un genre d’hôtel pour chauffeurs de camions où il y a de tout, en particulier l’indispensable gazoline, on arrive au poste des gardes.

Ils nous reçoivent joyeux, ils ne voient pas grand monde à Selous. C’est la fête. Cette réserve n’est pas ouverte aux touristes nous disent-ils, seuls quelques grands de ce monde y viennent en hélicoptère pour se faire un éléphant ou un lion. Ce qui veut dire que les gardes sont aussi des auxiliaires du Ministère des affaires étrangères. La chasse au gros fait partie des nécessités diplomatiques. Tant pis pour les bestiaux, il faut bien décorer les ambassades avec des ivoires et des peaux à crinière pour impressionner. Une peau de lion en impose. Il vaut mieux céder un de ces énormes chats pour l’aide médicale internationale. Les caisses de médicament contre le paludisme, c’est cela la chasse au gros, mais ce n’est pas écrit sur les boîtes de pilules. Des fois ce n’est pas des médicaments dans les caisses, on s’en doute.

Comme les gardes n’ont pas beaucoup de visites, on spécule sur leur manque d’entraînement. Ils ne sont peut-être pas à jour pour la compétition. On espère une victoire qui nous éviterait d’être les derniers de ce championnat. Le commissaire nous en sera gré.  Commissaire politique ce n’est pas rien par ici. Et le notre a peut être des comptes à rendre au parti si le CDA, le club sur lequel on compte, n’obtient pas un pompon. Je l’entends déjà, condamné à faire son autocritique devant un parterre de hauts dignitaires réunis en tribunal d’exception. Il nous désigne d’un doigt menaçant, Fidel et moi assis dans un box en bois vernis. Deux agents étrangers qui profiteraient de leur aimable séjour pour organiser ce sabotage et souhaiter la perte d’un zélé serviteur de la cause en jouant volontairement sans enthousiasme.

On demande aux gardes si on est en danger. Selous c’est la réserve des réserves animalière et c’est plein de gros animaux. On a entendu des histoires de lions qui se tapaient la cloche autour d’une tablée d’égarés. Et puis aussi de morsures irrémédiables par des choses rampantes. Le chef des gardes nous dit que non, qu’ici c’est peinard, que les fauves sont à des miles, que Selous c’est immense et que le danger est loin. C’est comme si le poste où nous sommes, des baraques entourées de quelques baobabs, se trouvait en centre ville, la cambrousse, les banlieues à risques, la zone à griffes et crocs on n’y est pas. Cela paraît raisonnablement expliqué, on y croit, et puis ce gars là est en uniforme, il sait.

Faut jouer et en plusieurs véhicules on se rend au stade qui est un peu plus loin. On débarque au bord d’une petite route. On prend nos sacs et notre ballon. Ce dernier commence à ressembler aux ballons locaux car il est sérieusement entamé depuis le début du championnat, comme poncé à vif par la caillasse. Ce qui le sauve c’est son origine, on peut encore lire le « made in Mexico » écrit dessus. C’est surprenant cette renommée du foot latin.

On nous montre du doigt le stade mais on ne voit rien, on cherche. Encore un tour d’horizon en écarquillant les yeux au maximum en décrivant un large cercle. Tout autour de notre point de chute ce n’est que de l’herbe haute comme un homme. Les pluies récentes sont en cause. De l’eau et ici tout pousse vigoureusement et vite. Le capitaine des « Ranger » m’indique une direction au-dessus de la ligne de crête des herbes.

« Là ! ».

Juste au dessus des herbes je vois la barre horizontale d’une des cages de gardien de but qui émerge, comme la vergue d’un voilier enfoncé entre deux vagues, et aussi la partie supérieure des poteaux. Le reste du terrain est totalement englouti dans l’herbe.

Terrain herbe1

 « T’inquiètes pas » qu’il me dit.

Je croyais être vacciné contre les surprises, je veux un contrôle pour celle-là, Le terrain est entièrement recouvert de végétation et ce n’est pas du gazon anglais. On disparaîtra à jamais là dedans. Le capitaine explorateur prétend savoir de quoi il parle.

« L’herbe se piétine facilement et après un peu de jeu elle sera damée, elle se couche dès qu’on marche un peu dessus ».

En d’autres termes on est là pour tondre le terrain.

Rien qu’en se disposant autour du rond central, il est vrai, les joueurs ont plié de l’herbe et l’on peut déjà plus ou moins s’observer les uns les autres à mi-corps. Au coup de sifflet les poursuites commencent sur un tapis d’herbe couchée. Ce n’est pas facile car les pieds se prennent dans de vrais fagots et on réapprend à marcher en levant bien les pieds, en évitant de trébucher.

Celui qui shoote vers un but dont on ne voit pas le gardien, lequel doit normalement s’y trouver planqué, s’engouffre poursuivit par un ou deux footballeurs en suivant la trajectoire désignée. Ils inaugurent une nouvelle rue dans l’océan d’herbe pour aller se chamailler. Chaque envoi du ballon au loin donne naissance à une percée neuve dans cette pelouse pour géants. Pendant ce temps-là les autres organisent une embuscade juste au débouché du trou. Ou bien ils se racontent des trucs pour patienter, le temps que les jardiniers reviennent. C’est cache-cache, gendarmes et voleurs dans la futaie.

À la fin de la première mi-temps le rond central et les alentours de buts sont nets, c’est bien fauché. Le reste du terrain est redessiné en ruelles tracées entre les végétaux. Les joueurs ont composé une ville organique et tout le catalogue urbain y est, des vraies avenues, parfois des places, des sentiers ombragés quand l’herbe se referme au-dessus. Cela fait des promenades couvertes où l’on peut jouer à l’abri du soleil. Les circulations transversales sont plus rares, mieux vaut revenir par le même chemin. Les hautes herbes gardent une part de mystère, pas la peine d’aller interroger un labyrinthe de plus, de faire le malin, d’autant que c’est plein de tiques. Il reste quand même des parties vierges de nos piétinements, on finira de tondre l’année prochaine éventuellement.

À la reprise, on reprend le jardinage, reste encore une mi-temps pour finir le job. C’est alors qu’un excité, un consciencieux qui cherche à faire tout le stade, bombarde le camp adverse par un long tir qui tombe justement dans une lointaine zone incognita, vers un genre de corner. Il y va sans hésiter chercher le ballon et faire la tondeuse avec deux joueurs dans son sillage pour bien aplatir la végétation et créer une piste nouvelle qu’on baptisera plus tard. Ils disparaissent tous, on entend le sifflement des hautes tiges vivement rabattues vers le sol par le trio de champions. Tout à coup la machine s’arrête, elle est tombée en panne, plus de bruit. Pas longtemps, on se prend un ensemble vocal énorme. Trois cris suivis par le bruit de pas de course, le trio revient, va sortir du chemin neuf, il nous bouscule, on n’existe même pas.

fusi

 

« Fusi ! Fusi ! », Gueulent les trois fuyards à la fois.

C’est quoi tout ce raffut ? Ça veut dire quoi « Fusi » ?

Fidel et moi on ne comprend pas pourquoi tous les autres courent vers les bagnoles. Brièvement,  quelqu’un nous explique, pas compliqué, juste la traduction.

« Hyène ! ».

Fallait le dire, on devient sportifs pour de vrai, on rattrape tout le monde sauf les trois pisteurs qui ont dérangé l’animal, ils restent en tête pour se tenir à bonne distance de la vision qui les traque, de puissantes mâchoires se refermant sur un frêle mollet. Ils sont gris, véloces, aidés par la trouille.

Tous planqués en comité de sauvegarde à l’abri dans les voitures, on se concerte et le courage revient. Ce n’est pas une meute d’après le chef de l’équipe de Selous, juste un vieux mâle qui a déjà été repéré du côté des poubelles. Rien de méchant nous dit le chef garde, lui qui est quand même arrivé premier dans notre refuge. Il ne lève pas tous les doutes. Avec des bâtons on revient. C’est une question de territoire, nous aussi on peut pisser et marquer le terrain, ça sentira la canette, On avance en une seule et compacte unité. Les plus courageux sur le périmètre extérieur se feront mordre d’abord. Au centre de cette grappe on retrouve tous les indécis, ceux qui disent avoir de la famille, les prioritaires dont personne ne vérifie la carte, on accepte. Les comptes se feront plus tard.

Nous remontons le couloir maudit, parfaitement ajustés à la largeur entre les herbes, sans qu’un pied ne se pose au-delà de la partie tondue. En aucun cas ! Par contre on est bruyant, une technique de prudence et aussi de réconfort des âmes. Au bout, nous avons ralenti et on découvre lentement un genre de clairière, un lit d’herbe que l’occupant vient de quitter, probablement indisposé par des cris proférant son propre nom : « Fusi ! ». On retrouve le ballon en plein milieu de ce petit nid. La bête l’a-t-elle prise sur la tête ? C’est la fin du monde sauvage et on y a contribué.

herbe1 copie

 

Le commissaire décide, et personne ne le contrarie, d’arrêter le match des fois que « Fusi » décide de revenir accompagné de ses potes. Le chef expert en sauvages animaux reste vague, il ne sait pas trop, seulement que la sieste cela donne faim et que la hyène c’est partageur. Quand il y en a pour un c’est bon pour la petite famille. On en restera là et comme on avait marqué le seul but, par hasard tout à l’heure, à l’aveugle au dessus des hautes herbes, le CDA ne sera pas dernier de la ligue. Inutile d’insister, on a gagné un à zéro. L’arbitrage de « Fusi » ne se conteste pas. Le commissaire et la bête sont d’accord sur le règlement, on va suivre leur avis, d’autant que lui est maintenant sûr d’éviter la cour martiale du parti, section « sport collectifs»

Sacré safari. On boit des bières chaudes, un régal dans ces circonstances. Et on va pisser à la santé de l’hyène des poubelles mais vraiment juste au bord du terrain, pas trop loin, une morsure dans cette situation serait grave. On fait comme un enclos d’urine, elle se rappellera de nous la « Fusi ». Avant de se séparer, on leur offre ce qui reste du ballon mexicain à l’équipe de Selous, et on scelle ce commerce par de nombreuses poignées de mains. On prend une photo et c’est le ballon, qui se trouve à la place d’honneur sous le pied du capitaine des gardes. Les footballeurs se mettent sur deux rangs, disposés selon la tradition. Le ballon, gibier de cette chasse, semble un peu dégonflé. Il est mortellement atteint, pathologiquement voué à de la rustine. Comme trophée il ne vaut pas l’éléphant. Elle est bien la photo et au moins la victime ne finira pas empaillée dans une ambassade.

trophée

Eduardo, notre chef, doit arriver demain de Mexico. Fidel, qui avait anticipé le décès de notre ballon, lui avait demandé de nous en ramener un neuf.

C’est le départ, juste deux jours pour rentrer à Dodoma. La boue qui nous attend et donc des loisirs pour préparer les baratins à raconter aux filles.

Et « Fusi » ? Elle va raconter quoi ?

« Les hommes sont incapables de répondre à l’énigme, celle du nombre de pattes. Pourtant, j’en ai vu des jambes ! Combien ? Quatre, deux, trois, j’aurai du mordre dans le tas, au hasard, j’aurai peut-être entendu râler la bonne réponse à chaque coup de canine. Mais oui c’est l’homme, toujours et encore lui ! Et ils ne m’auraient pas vu venir, là dans la végétation c’était un défilé d’aveugles, du facile. Voir bien on dirait que ça les gêne, mais ils vont le devenir aveugles pour de bon si ça continue, d’ailleurs c’est écrit. Cassez-vous ! Allez consulter ! Vous avez plein de spécialistes en crimes non élucidés, et ça vous va ; ils ont des sacs de solutions, une pour chacun et à tous les prix » .

Ça se trouve c’est à cela qu’elle pense la hyène. Pourquoi pas. Et puis elle se rappelle de la poubelle, c’est l’heure, elle est pleine maintenant, c’est la soupe.

C’était bien ce championnat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet article Fusi ! est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/fusi/feed/ 0
Le danseur de l’équipe « Airport » https://germinal.rebull.fr/le-danseur-de-l-equipe-airport/ https://germinal.rebull.fr/le-danseur-de-l-equipe-airport/#respond Thu, 21 Nov 2013 16:35:37 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=916 A la mi-saison, l’équipe de foot du CDA, est déjà en bas du tableau de la ligue « administration », et elle ne brille pas particulièrement. Nous devons jouer contre l’équipe du personnel de l’aéroport de Dodoma. C’est le seul match où nous nous rendons à pied au stade. Juste de l’autre côté de la ville, au […]

Cet article Le danseur de l’équipe « Airport » est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
A la mi-saison, l’équipe de foot du CDA, est déjà en bas du tableau de la ligue « administration », et elle ne brille pas particulièrement. Nous devons jouer contre l’équipe du personnel de l’aéroport de Dodoma. C’est le seul match où nous nous rendons à pied au stade. Juste de l’autre côté de la ville, au bout de l’avenue centrale. Nous passons devant toutes les épiceries et marchands de bière et croisons aussi des copines qui se fendent d’un encouragement. Elles s’amusent de nous voir déjà en tenue alors que le foot ne les inspire que si elles ont un petit ami dans l’équipe, un héros à qui elles envoient de sourires glorieux et prometteurs. Fidel et moi on n’en a aucun pour l’instant.

on y va

Dodoma a beau être la capitale du pays, l’aéroport est calme. Il y a peu de trafic et n’atterrissent ici que des coucous à deux moulins maximum, pas trop grands, réservés aux officiels le plus souvent et parfois à quelques touristes nantis. Mais la piste en dur est bien entretenue et il y a un bâtiment qui sert de hall de passagers avec des bureaux à l’étage ainsi qu’un grand hangar en tôle ondulée.

Le personnel en charge de l’aéroport est très complet, en surnombre d’après les jaloux, tous des fainéants supposés. Travailler à l’aéroport c’est quand même tranquille et c’est un signe distinctif, voire très honorifique. On y compte là beaucoup de gentils et gentilles de la ville, des proches des dirigeants locaux du parti unique, le Chama cha Mapinduzi, le « parti de la Révolution ». Ceux-ci ont la haute main sur les emplois rémunérés et stables et envoient les membres de leur famille travailler ici, juste pour compter les avions dit-on. Ceux qui jouent dans l’équipe « Airport » sont de surcroît en représentation, comme en campagne électorale, d’ailleurs ils ont de bonnes chaussures. L’équipe est là sur le bord de la piste et nous accueille. Tout le monde se connaît, nous sommes voisins et avons des fréquentations du cinéma et des bars en quelque sorte mutualisées. En conséquence de quoi nous pouvons abréger les rituels d’usage pour les grandes compétitions et s’épargner les politesses, comme quand nous buvons ensemble. Il est vrai que plus on joue loin de Dodoma, plus le cérémonial est important et respecté, comme proportionnel aux distances et efforts qu’il faut surmonter pour se rencontrer.

En contrepartie du protocole nous échangeons des tuyaux sur les prochains programmes de ciné et sur l’orchestre qui sera à la tâche ce soir au « Mwana », bar de nuit et Agora des citoyens respectables d’ici. Pour le ciné on apprend justement que les bobines des films devaient  arriver par un zinc qui ne viendra pas. Donc nous aurons le même programme toute la semaine, soit « Shaft » et un Bollywood,  « Chhoti Si Baat » un truc très compliqué entre trois frères, plein de cousins, des traîtres parmi eux, et vicieux, avec à la fin la maman apparaissant en grand avec costume pour marier sa fille, tartinant l’écran de doux sourires et de larmes émues. Mais quelle musique ils savent faire ! Si ce n’est le match cela valait le coup de venir. Au moins nous voilà renseignés, nous saurons nous organiser, nous verrons les films une deuxième fois  et avec  plus de soirées au bar.

Comme aucun avion n’est annoncé avant trois jours, nous sommes en sécurité pour jouer sur le stade qui se trouve dans le prolongement de la piste, là ou fini le bitume, juste dans l’axe et bien plat, configuration exemplaire et unique dans la région. Nous savons que nous ne serons pas dérangés par quelque atterrissage inattendu.

L’équipe des «Airport», en plus d’être des pistonnés du parti, comporte des vedettes. La première c’est que le gardien de l’équipe est une gardienne qui a une tenue complète de l’équipe du Brésil très ajustée, taille enfant semble-t-il, ce qui a l’avantage de rendre le meilleur de ses formes, c’est une championne et son anatomie pousse de manière insistante sur les coutures et laisse rêveur sur la limite de contenance de son short bleu qui nous nargue et nous fait des signes. Son fiancé a intérêt à bosser dans la confection ne serait-ce que pour réparer en permanence et éviter débordements et tentations.

la gardienne150

 

L’autre et plus surprenante vedette, c’est que leur capitaine a la jambe gauche qui s’arrête net au niveau de la cheville. Personne n’évoque l’origine de cette perte. S’il est « Airport » c’est qu’il a des cousins au parti qui ont veillé à le récompenser par un bon boulot ici en remerciement du don de son pied, probablement pour raison de service.

Pour corriger la différence de longueur de ses membres inférieurs il a ligoté une chaussure de tennis solidement au moignon, parallèlement au tibia, ce qui lui donne de loin, et pour cette seule jambe, une allure de danseur faisant des pointes. Il a découpé des portions de la chaussure pour qu’elle puisse s’adapter au solde de sa jambe. Elle tient avec des lacets et des ceintures bien serrées.

prothèse 150

Ce garçon est costaud avec des muscles en longueur pilotés par un regard de fâché permanent, d’un genre qui tient à bonne distance toute tentative de condescendance ou de moquerie.

Nous, son handicap nous le voyons énorme, comme une aubaine qui fait de nous des oublieux de toute compassion. Nous envisageons sa patte comme un avantage à exploiter sans réserve, la cibler comme le point faible de sa mécanique, la faille par laquelle il faudra passer et foncer vers le but.

 

Dès l’entame du match on a compris notre erreur, le claudiquant dominait. Ce capitaine agile avait dompté sa patte pour des attaques sauvages et des tirs pointus. C’était le cas quand il mettait le ballon au bout de l’épissure qui maintient sa tennis. On n’a rien compris, rien vu venir, les «Airport» survolaient le terrain en escadrille serrée autour du danseur qui distribuait des ordres et des coups de coude. Mais le meilleur c’était lui quand il avait le ballon, il ne regardait personne, cela devait lui sembler superflu, il nous négligeait, les yeux rivés vers son aiguillon inférieur où il maintenait la balle comme aimantée par la tennis, exécutant des pirouettes inexplicables. Dans le nuage de terre qui le poursuivait il préparait à l’abri des regards ses projets les plus pervers, entre chaque bond sur son pilon percutant bien le sol perpendiculairement, comme un jardinier qui plante des graines, mais ici juste pour entretenir le petit brouillard minéral tout autour, lui bien camouflé. Il en faisait des déboulés et des entrechats le danseur à la pointe, tellement raffinés que c’est lui qui nous enfile les deux seuls buts du match, comme si de rien. Il se déplace, comme nous tous d’ailleurs, poursuivi par son ombre de poussière rouge, juste sa tête dure visible en haut. Soudain, de ce brouillard terreux sort un coup de moignon terrible, comme la bordée de canon d’un combat naval, un boulet sorti de ses sabords, de la fumée du combat, parachevant son ballet magique, fascinant et léger par une salve de terreur. C’était à la fin de son numéro de ballerine qu’il plaçait l’ultime sursaut douloureux de sa jambe blessée nous bazardant du bout de sa prothèse dirigée droit vers le but, avec effet de catapulte vrillant, le ballon dans une course inexorable le long du fil de son regard, cadrée finement dans nos buts. Pour le deuxième but, c’était si violent que sa prothèse en caoutchouc a filé avec le ballon comme pour en vérifier la trajectoire, suivre le ballon et en cas de dérive, refiler un petit coup pour en corriger le cap.

Tir canon3

Ses amis alors le portent, se jettent sur lui pour le célébrer, caressent son moignon porte bonheur, ils remettent la prothèse récupérée dans notre cage, ils vérifient les attelles, resserrent les lacets, nettoient, il faut que tout fonctionne de nouveau, tout remettre en ordre de marche, tout à neuf, ce n’est pas fini, on va encore en prendre.

Pas de rémission, car coté colère il est complet, inépuisable et depuis longtemps, probablement du jour où il fut raccourci. Et il la raconte sa peine à la pointe du chausson de fortune, il nous la rappelle des fois que nous n’ayons pas bien compris. Il aurait eu une machette à la place de sa tennis ligaturée, il n’aurait pas hésité, on aurait saigné, il nous trancherait histoire de nous signer une adhésion à durée illimitée pour son club de mutilés. Nous comprenions que chez cet infatigable révolté l’absence de doute lui assurait un respect total. On était battu d’avance par sa rage.

Leur gardienne de but, la magnifique, avait eu le temps de faire causette avec ses supporters regroupés autour de sa cage. Et ils étaient nombreux à admirer sa tenue brésilienne. Par malheur pour nous elle n’eut aucun geste spectaculaire à faire, aucun arrêt en haute voltige tellement on nous tenait éloignés de sa cage. On aurait adoré voir sa musculature à l’oeuvre , des fois, pour contribuer à accentuer les failles dans son short bleu, lui faire péter les coutures.

Encore un match de perdu et rien à redire, les « Airport » c’était la division au-dessus avec des motivations en prime.

Après le match, dans le hall, nous avons bu des bières en chantant gaiement quelques strophes à la gloire du Président. Mon ami Fidel et moi avons essayé la chorale. Ils se marraient encore plus pour notre prononciation du Kiswahili et notre sens du rythme. Pour le chant comme pour la danse on devrait travailler plus assidûment.

Comme il était trop tôt pour aller chez « Mwana », alors nous avons pris le temps d’écumer l’avenue, en nous arrêtant partout pour raconter le match, pour se faire charrier aussi parce que nous les CDA, quand même privilégiés, nous étions nuls par rapport aux pistonnés des «Airport», et nous acceptions leur dépendance directe du parti les obligeant à rester bien classés. L’arbitre, d’ailleurs militant de base zélé, veillait à ce que la victoire soit assurée et puisse devenir un gage de succès pour la révolution. Valait mieux être d’accord avec lui que d’engager un débat politique. Il avait éventuellement des cartons menaçants à distribuer aux contestataires. D’ailleurs nous craignions tout spécialement le prochain match contre les fonctionnaires du Chama cha Mapinduzi, eux-mêmes. On savait que perdre c’était une obligation, écrit en gras dans le règlement. Le score était d’ailleurs sur la feuille de match avant de le commencer.

Pour la remontée de l’avenue nous y étions tous, et c’est au fur et à mesure que le groupe s’est dispersé, lentement, dilué dans la nuit qui arrivait. Le danseur étoile en était aussi et il souriait pour la première fois, apaisé par quelques canettes. On allait tous selon nos dérives incertaines, fatigue et bière contribuant, à écouter des avis cordiaux sur le foot et parfois sur les sujets de la ville, sauf les thèmes électoraux. Tous les joueurs, et nous les deux étrangers qui, quand on dansait avec eux,  étaient comme deux cubes dans un panier de fruits ensoleillés, la gardienne qui captait tous les regards et leur capitaine, le raccourci, oui tous agglutinés autour de la bibine, comme un seul alliage fondu dans l’amical creuset de la rue centrale. Nous étions de Dodoma et on se régalait du ciné, des épiceries, des bars. Personne pour dire des reproches ou faire sentir la différence, puisqu’on s’en tenait aux choses justement partagées. Ici on avait le droit d’être mal foutu, pourvu qu’on paye sa tournée offerte avec des élans de tendresse. Si le sentiment d’appartenir à un espace, une latitude et a une famille de cœur, si ce sentiment-là existe, le sol en terre battue de cette avenue le portait dans cette soirée où les dernières lumières du jour s’occupaient de suspendre le temps. Si on était là, dérivant en grappe comme une constellation égarée dans l’avenue, une voie lactée à cette heure, c’était pour l’éternité.

Voie lactée 2

 

Et c’était bien.

 

 

Cet article Le danseur de l’équipe « Airport » est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/le-danseur-de-l-equipe-airport/feed/ 0
Premier assaut ! https://germinal.rebull.fr/premier-assaut/ https://germinal.rebull.fr/premier-assaut/#comments Thu, 19 Sep 2013 15:09:16 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=799 Nous sommes en 1977 en Tanzanie et pour le foot, faut pas avoir de complexe. Fidel et moi avons intégré l’équipe du CDA ou agence du Capital DevelopmentAuthority, en charge de réaliser la nouvelle capitale de la Tanzanie. C’est le premier match… On était tranquilles pendant les entraînements, pas désagréable de faire un peu de […]

Cet article Premier assaut ! est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
Nous sommes en 1977 en Tanzanie et pour le foot, faut pas avoir de complexe.

Fidel et moi avons intégré l’équipe du CDA ou agence du Capital DevelopmentAuthority, en charge de réaliser la nouvelle capitale de la Tanzanie. C’est le premier match…

On était tranquilles pendant les entraînements, pas désagréable de faire un peu de sport entre amis dès que le thermomètre donnait son autorisation, quand les dernières heures du jour passent le relais à la fraîcheur nocturne. Pas désagréable d’autant que cela se terminait par des bières chez « Mwana », un lieu indéfinissable situé entre bar, bar à filles, agence de renseignement pour le parti unique aussi, et bien récompensé pour ce faire puisque la camionnette de « Mwana »pleine de robes colorées généreusement remplies surmontées de sourires éclatants, participait au défilé de la fête nationale du travail, et en bonne place, très applaudie quand elle passait devant la tribune des officiels. De vrais amateurs ceux-là. Mais chez « Mwana » on était toujours le bienvenu même comme consommateur modéré.

Entamer la coupe de foot des équipes des administrations tanzaniennes allait changer nos rituels.

Débusqués de notre paisible routine, nous voilà partis pour jouer un premier match contre une équipe de l’infanterie. Et les soldats c’est de l’administration. Dans le camion de l’équipe du CDA, c’est joyeux, les copains chantent et nous avons le commissaire politique qui nous accompagne car c’est obligatoire pour le foot, et surtout on a notre ballon mexicain, un pur cuir parfaitement rond.

On l’oublie trop souvent, des gens qui chantent dans un camion militaire roulant sur une piste peut présager du pire, Il y a des précédents. Sans aller trop loin dans la peur, le petit tandem franco mexicain, Fidel et moi on mouillait un peu quand même, un premier match absolument officiel.

Après une heure de route, tous bien secoués, le camion s’arrête et il n’ira pas plus loin, il a atterri sur le flanc d’une petite colline et la seule partie plate c’est la route par laquelle nous sommes arrivés et qui, nous dit-on correspond au bord du stade, soit la ligne de touche. Ce qui signifie par simple déduction que le terrain c’est plus ou moins la colline. Seul Fidel et moi sommes surpris car les autres ont déjà joué ici l’année dernière. Tout le monde considère qu’un stade en pente avec plusieurs mètres de différence entre les deux côtés, est conforme aux équipements sportifs de notre ligue. Alors on gomme notre étonnement de nos tronches pour y coller des sourires standards et faire normal afin d’éviter d’offusquer les autres car ils se marrent tous. Il n’y a pas le choix, alors on adhère, on ne veut pas être exclus.

Tout autour c’est de la savane sèche. Des gros arbres plus loin limitent la pente d’herbe roussie avec par endroits des plaques de terre ocre.

Quelque chose bouge, un morceau de terrain semble-t-il, mais non c’est un rideau d’une quinzaine de soldats en tenues de camouflage recoupées pour faire des maillots et shorts. Ils ont le catalogue complet pour tous les champs de bataille de la planète, désert saharien, montagnes arides et même jungle birmane ou campagne anglaise. Cela fait une jolie palette de kaki. Ils sont calmes les trouffions et ont des gestes lents, on est dominés avant même de jouer, ils impressionnent. Quand on s’approche pour les saluer on distingue nettement qu’ils ont remplacé leurs yeux par des sagaies pointues. Leurs lèvres sont serrées et parfaitement horizontales pour former comme les lignes d’un cahier. On comprend que c’est là-dessus qu’ils vont écrire le compte rendu de leur prochaine campagne. Ils sont parfaitement affûtés et équipés pour partir à la chasse, nous le gibier, à la chasse au CDA. Il va falloir ruser.

Par contre, pour les pompes, ils sont définitivement bien moins lotis que nous. Quelques bas de rangers réparés mille fois, des reliquats de tennis et à défaut rien, juste leurs pieds. Pourvu qu’ils souffrent, c’est notre salut leurs pieds douloureux.

Accueil décoratif

Après les bonjours on respecte poliment tous les rituels du football professionnel, c’est essentiel pour donner du crédit au championnat. Choix du camp à pile ou face et sans rire s’il vous plaît, colline de gauche ou colline de droite ? Il y a aussi serrage de paluche et chant martial pour eux, lequel en Swahili fait un peu moins guerrier, plus dansant. Nous on les applaudit des fois que cela puisse les amadouer. Tout est consigné dans le registre du championnat entre les mains de leur chef. Rien n’est oublié, jour, heure, joueurs. Enquête oblige. Pour l’administration ils sont impeccablement rigoureux, réglos comme personne, et c’est vrai qu’il n’y a qu’un seul parti politique ici, ça simplifie la feuille de match qui justement a le sigle du comité imprimé en haut à gauche.

Maintenant que le cérémonial footballistique vient d’être célébré il va falloir jouer. Se pose alors l’immense question de comment occuper une colline déguisée en terrain de foot tout en s’économisant la peine de grimper dans les hauteurs. Bien entendu tout militaire sait que le relief bien compris décide du sort des armes mais on ne se fait pas d’illusion. Nous ferons comme nos prédécesseurs et nos successeurs sur cette ligne de front on va l’apprendre vite la tactique. Les soldats c’est leur stade ici, c’est comme s’ils allaient à l’exercice, genre comment préparer une embuscade, ou comment observer sans se faire voir et éventuellement anéantir l’ennemi. On nous recommande quand même, et c’est basé sur les expériences antérieures, de privilégier le jeu dans la partie plate et d’éviter de se casser la santé dans l’escalade. Mais il faudra quand même tenter de faire la différence en essayant des percées de « vive force » pour aller jusqu’aux cages et marquer. Nous sommes venus pour cela, c’est entendu mais c’est optionnel, une opportunité à saisir des fois que…une chance si elle se présente à ne pas louper. Le coach à conscience des difficultés, on le bénit lui et ses recommandations.

Pour le coup de sifflet les deux équipes se répartissent selon la géométrie réglementaire en vigueur, soit des arrières à l’arrière et des avants à l’avant autour du « rond central » que l’on distingue mal car tracé par la pluie et le vent. Toute la clique est maintenant bien répartie partout sur l’étendue de bosses aux limites incertaines, qui sont juste de vagues confins frontaliers, et l’histoire le démontre, des sujets de discorde, des foyers meurtriers. Les kakis d’un côté et une foire colorée de l’autre avec les courageux vers le haut et les économes en bas, le long de la route. On est prêts.

Un seul coup de sifflet autoritaire, un ordre qui secoue le magistral schéma que nous figurons celui qui est décrit dans les manuels de foot. Ce fut la seule fois qu’on l’a respecté le manuel.

Dès les premières passes, respectant les lois de la gravitation, le ballon manifeste son irrésistible tendance à descendre et rouler dans le bon sens, se soustrayant à la volonté tactique, insolente sphère idéale, et comme au foot il faut aller chercher le ballon, le traquer sans répit, nous nous retrouvons vite tous réunis vers le bas, là où sa rondeur et sa masse s’expriment dans la plus grande plénitude, les vingt-deux joueurs moins les gardiens tous à sa suite pour communier autour du fugitif, et on entend au travers de la poussière les psaumes et les cris qui l’attestent. Il a fallu peu de temps pour que tous les joueurs soient invités à admettre cette lanière de terre comme l’unique surface du combat. De rares et courageuses tentatives pour reconquérir les hauteurs sont vite considérées comme inutiles et vaniteuses. Joueurs et ballon sont comme l’écume de vagues inexorablement battues par leur propre reflux qui est ici dominant, comme pour une marée éternellement descendante. On n’a plus qu’à bronzer sur l’étroite grève. La baignade est interdite.

terr seul en pente

En réalité, comme il faut continuer, les vingt-deux joueurs se déplacent le long de cette seule touche comme dans un couloir. Le corner c’est ce qui il a de mieux, la figure la plus efficace, non pas pour aboutir, cela voudrait dire remonter la pente, mais juste se chamailler, car de fait nous sommes tous et chacun à notre tour dans les coins d’en bas. Les duels pour attraper la balle sont fondamentalement des tests de résistance sur les vêtements, short ou maillot que l’on retient, et ce n’est pas compté comme faute dans ce contexte, ce qui permet de balancer l’adversaire d’un côté vers l’autre et de se créer un passage, éventuellement de tirer assez fort pour le mettre en touche, plus ou moins essayer car on ne la voit pas bien la ligne de touche, on pousse et puis voilà. Pour ce style de jeu l’infanterie est experte et rajoute sa bordée de vacheries. Ces dernières répondent à un protocole précis. Cela commence par un regard assassin pour aborder l’ennemi, puis le méfait accompli, affichage d’un sourire gracieux invoquant le pardon ou plus délicatement la satisfaction comme seule variante. C’est le mode d’emploi pour les coups dans les tibias.

Qui dit touche dit longues palabres relatives aux limites du terrain puisqu’il ne reste que cela comme géographie administrative. Il faut juger pour savoir si elle passe devant ou derrière l’arbuste qui a l’amabilité d’être là pour indiquer la ligne. Personne ne se plaint de ces arrêts de jeu, au contraire, tous sont d’accord pour prolonger le débat. Fidel et moi on est trop courts en Swahili ou en Bantu pour y contribuer, d’autant qu’ils doivent échanger des jurons qui n’existent qu’ici, on n’ose pas imaginer. Alors on en profite pour quémander au commissaire politique qui veille sur le bord, un coup pour la soif. Au moins pour cela il ne consigne pas dans son rapport.

À force de n’utiliser que ce passage, un voile de poussière s’élève au-dessus de nous comme pour donner du volume à cette ruelle qui canalise les allers retours de joueurs en grappes selon qui possède le ballon, on se confond facilement dans cette pénombre de poussières et des coups en douce on a du s’en refiler même entre potes. Le nuage de poussière, aidé par des petits tourbillons de vent, est compact et le volume gagné en hauteur compense ce qui nous est confisqué en surface, nous jouons maintenant dans un brouillard d’où s’échappent des cris et des jurons, Plus personne depuis longtemps ne tente l’impossible diversion vers le haut, on a abandonné les gardiens de but. Il y a là un tacite compromis de ne pas fondre dans cette chaleur pour s’essayer à d’inutiles escalades de la colline. Tellement d’accord sur ce point qu’aucun but n’est inscrit. Il n’y aura pas même un penalty, la zone rouge est trop loin, aucun risque d’émois offusqués, de bagarre générale, car la main c’est quoi dans ces circonstances ? Les mots ne seraient pas suffisants pour l’arbitrer, on passerait aux poings et là on perdrait. Éviter la promiscuité propice aux coups bas dont nos petits gars de l’infanterie raffolent, voilà le programme, marquer ce n’est pas de ce monde, c’est dans la zone des miracles, dans l’au-delà. Il faut simplement s’essayer dans l’élégance en se déplaçant le long de l’étroit passage et se garder des conflits corporels. Le thème de cette danse c’est une lutte sur un petit chemin mystérieux et sur lequel on se croise indéfiniment, mollement maintenant qu’on arrive à la fin du temps. Les déplacements sont assez magiques, ils donnent lieu à la création de diverses figures des corps se cherchant, se fuyant pour n’arriver nulle part. On s’en souviendra.

Les gardiens sont bien placés. À mi-hauteur du terrain et pas dérangés du tout, juste un peu de torticolis peut-être à force de ne regarder que d’un côté. Ils sont souvent allongés devant leurs imprenables cages. Ils regardent depuis les poteaux le ballet des joueurs en contrebas, comme depuis des gradins ou d’une tour. Ils sont de guet les goals, c’est tout. Ils rentreront plus tard, à la fin du service, au rapport et puis voilà.

À la fin, la sueur et la poussière nous ont unis dans une seule couleur sable sombre, les kakis ont disparu avec nous dans le marron universel. On ne sait plus de quel camp il faut défendre l’honneur, mais comme cela n’a pas d’importance on fait semblant pour ce qui devrait être des actes héroïques et tous pourraient avoir le premier prix pour le simulacre. Seul Fidel et moi restons un peu plus clairs à cause de la couche de fond de notre peau et donc on dérouille encore et de tout le monde. Le coup de sifflet final vient comme une rémission pour la soif et pour les bleus sur les jambes. Le commissaire politique qui avait amené de l’eau en quantité vu la chaleur, la distribue en blitz à la fin de la partie et les jeunes de l’infanterie qui ont oublié leur intendance en profitent, ils sourient maintenant, ils ont accompli la corvée du jour. Moins de méfiance aussi entre nous les rend plus entreprenants, ils lorgnent sur le T-shirt de Fidel. C’en est un de publicitaire pour le Tabasco, une immense bouteille rouge sur fond vert. En grosses lettres il y a écrit « Mi Tabasco ! El toque » d’un côté et « Mi Tabasco ! El punto » de l’autre.

Tabasco A l'assaut

On la voit de loin la bouteille rouge ce qui a fait de Fidel un souffre-douleur facile durant tout le match tellement la couleur vive a résisté à la poussière. Les palabres reprennent et faut l’entendre le swahili du mexicain, c’est lui le meilleur des deux étrangers pour apprendre, il est studieux avec son petit dico toujours à portée. Parfois on l’entend dire « no sé », c’est un réflexe naturel qui sur le continent sud-américain permet d’éviter des tas d’ennuis. En conclusion Fidel repart dépouillé de ce qui lui servait de maillot, il ne résiste pas, et puis cela lui évitera d’être trop visible le prochain match, c’est un gentil, il leur file le T-shirt, mais c’est un don pour le collectif impose-t-il car le capitaine des « infanteries » le voudrait pour lui, Fidel n’est pas d’accord et le propose comme emblème de la compagnie, un fanion du souvenir, l’étendard piqué à l’ennemi. On imagine la devise du régiment entier, « qui s’y frotte s’y pique ». Ils se détendent les jeunes affamés de l’armée, ils nous suggèrent de nous engager tellement cela à l’air bien l’infanterie. Merci, le foot suffira.

On blague autour du montant de la rançon, mais le T-shirt convient et laisse à la soldatesque un goût de victoire. C’est rare un T-shirt Tabasco. On  est resté là quelques instants pour les vannes. On se serre la louche, on dit quelques commentaires techniques sur le match, du pourquoi nous étions de force égale, ça c’est vrai vu la pente, c’est surtout les gardiens de but qui commentent, eux pas fatigués du tout, ils ont eu le temps de bien regarder de là-haut peinards. L’infanterie chante encore un coup son air martial chaloupé à souhait. On peut danser sur cette ode en Swahili qui vante probablement une mort glorieuse pour défendre la Nation. On rentre, écroulés dans les camions, on cause de la perte du  Tabasco et d’un terrain qu’on ne connaît définitivement qu’à moitié, on parle de bière aussi, elle vient dans une heure chez « Mwana » si on ne tombe pas en panne, seule certitude le bar sera ouvert, il n’y a pas d’horaire chez « Mwana ».

Nous étions donc tous autour d’une boule parfaite, tous à la pousser et même tenter de la faire remonter malgré son inépuisable volonté de redescendre. Puis déçus de l’impossibilité de la faire parvenir au sommet on la laissait redescendre épuisés, c’est sa fonction à la balle et nous c’est notre destin, on n’y arrive pas, jamais. Comme dans la vie, on remise à plus tard toute tentative.de la poser au sommet de la colline la balle, on range l’idée dans le tiroir de l’espoir, celui des choses à classer, à voir plus tard, alors qu’il va nous narguer le tiroir, s’ouvrir sans préavis, nous recoller le dossier de l’impossible sous le nez pour pas qu’on devienne d’absurdes héros. Reste cette fraternelle soumission qui nous octroie au moins le droit de picoler ensemble. C’est ça de gagné.

sisyphe

Le soleil nous prépare son feu d’artifice de couleurs gigantesques car c’est bientôt le coucher. En voilà un autre de spectacle, un simple jeu de lumières propice aux rêveries. Il ne manquait plus que cela, le ballon et le Soleil, complices aujourd’hui, demain aussi, il n’y a rien à faire.

On en a appris des choses, ça oui.

C’est bien.

Cet article Premier assaut ! est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/premier-assaut/feed/ 2
Maquillages dans les Andes, 1940 https://germinal.rebull.fr/maquillages-dans-les-andes-1940/ https://germinal.rebull.fr/maquillages-dans-les-andes-1940/#comments Fri, 12 Jul 2013 12:14:40 +0000 http://germinal.rebull.fr/?p=745 Premier chapitre Le cirque dans les Andes[i]  Voilà ces quelques camions du cirque qui souffrent du manque d’air tout autant que les passagers qui montent là haut le long de flancs Andins. Des virages étroits comme des tripes effrayées, des arrêts crevaisons où tous les artistes du cirque s’agglutinent autour de la roue qui a […]

Cet article Maquillages dans les Andes, 1940 est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
Premier chapitre

Le cirque dans les Andes[i]

 Voilà ces quelques camions du cirque qui souffrent du manque d’air tout autant que les passagers qui montent là haut le long de flancs Andins. Des virages étroits comme des tripes effrayées, des arrêts crevaisons où tous les artistes du cirque s’agglutinent autour de la roue qui a lâché. Ils font cercle autour comme s’agissant d’un mourant, la gomme étalée sur la route et sans pouvoir aider vraiment qu’avec des éclats de voix, des lamentations d’urgence, des incantations vers les cimes.

Etrange scène dans cette nuit tombante que ce groupe entièrement déguisé, uniformes roses, chapeaux à plume, chemises et jabots et mêmes quelques petits chiens savants, habiles et tondus de frais, profitant de cette messe pour un cadavre de caoutchouc pour pisser autour d’un vieux camion à défaut de pouvoir manifester une foi authentique et salvatrice. Tous maquillés déjà pour gagner du temps pensaient-ils, mais là habillés pour cette veillée funéraire inattendue en hommage à la roue, tous parfaitement apprêtés pour l’absolution.

La roue doit ressusciter et cela par la grâce habile d’un trapéziste, ancien mécano, pour qui le défaut d’outillage est un stimulant, un défi. Gracieux, divin, ne l’est-il pas dans les airs entre deux cordages du chapiteau à faire ses pirouettes ? Mais quand on a un don dans un cirque c’est pour tout ce qui s’y passe et il n’est de crevaison qui puisse poser plus de difficulté qu’un triple saut. Alors là, le roi des airs, pressé par tous ces yeux inquiets dans son dos, toutes ces mains qui lui passent avec le soin de servantes d’un chirurgien, un marteau, un truc en métal, d’énormes tenailles, opère ce corps mutilé fait de lanières caoutchouteuses, concentré s’interdisant de rater la greffe vitale du pneu. Le trapéziste, un maître ! La roue tiendra, les applaudissements l’attestent et redémarrer n’est possible qu’à l’extrémité d’une sombre exhalaison de gas-oil, mais celle-là saluée, car prouvant que le  mouvement va reprendre. Il faut accéder au pied des galeries de la mine d’or, but de ce convoi de ferraille, avec  hommes et femmes tous prêts pour le spectacle.

cirque 1

Dans le camion de tête le clown Pedro tient fermement le volant et la solide tringle d’acier de la boîte des vitesses qu’il faut changer au gré de pentes qui dictent un programme de conduite à suivre comme des lois d’une table divine, car le transgresser est un péché qui vous envoie dans l’enfer des ravins. Pedro est poudré, ça dégouline et son énorme sourire rouge dessiné camoufle le rictus inquiet d’un capitaine dans le gros temps. Son visage est difforme , mutilé par l’absence du nez rouge qu’il garde dans sa poche. Ce nez ! la convention du clown, son orthodoxie. La collerette qu’il a déjà mise est comme un gâteau à moitié cuit, derrière imbibé de sueur comme soufflé par la peur, devant un cocktail tropical comme un glaçon causé par un vent pour condors qu’aucun pare-brise n’impressionne. La cabine bruyante, c’est sa loge dont le miroir est un rétroviseur embué et ses lumières la pâleur du tableau de bord qui éclaire par intermittence.

Le spectacle est engagé.

Hier, dans un bar de Lima, les gens du cirque fêtaient les dernières de leur tournée. Six mois d’Amérique Latine pour ce cirque de Barcelone. Une suite dont les succès s’évanouissent comme une salle qui se vide, emportant dans la nuit de la ville quelques rires d’enfants encore charmés. Mais ces tournées continentales sont une rente pour passer l’hiver et  assurer la vie pour la prochaine année.

C’est dans ce bar à la table du chef de tournée qu’un bravache endimanché annonce sec : « J’achète le spectacle, c’est demain soir et c’est à cent cinquante kilomètres. Je paye tout ». Silences et regards durs tel que la proposition ne peut être négociée. Les yeux de l’homme en chemise blanche et chaussures pointues ne proposent pas de dialogue mais ils garantissent que la partie de son contrat sera assumée. Il n’y a pas de doutes. Pas de prix proposé dans ce duel oculaire dont l’issue est simplement sanctionnée par une poignée de main et une adresse : «Avenida  Mariano Cornejo a la cinco, todos ustedes y sin falta los payasos»[ii].

Dans la liesse du bar, personne pour évaluer la réalité de ce spectacle qui se passe dans la grande banlieue crois-t-on. C’est une aubaine de finir la tournée par des petits à coté. Elle est célébrée dans les rires et l’enthousiasme, chantée jusqu’à la fermeture de l’estaminet. Ainsi sont les gens de cirque, ignorant le relief.

Arrivée

 Le convoi accède à la mine par un terre-plein qui fait office de perron de cette butte couronnée d’excroissances en bois, plateformes, pontons et chevalements aux pieds desquels, on l’imagine, les galeries de la mine prennent naissance.

La caravane s’est rangée avec les honneurs rendus par une petite patrouille de mineurs guidant les camions à de bonnes places, soit là où la boue est estimée être la moins pire, du marbre comparé au reste de ce jardin infernal dessiné par une multitude de pistes défoncées qui fuient en panique vers les collines.

C’est dans une grande tente que la troupe du cirque est rassemblée. Le café, les tortillas sont là et font l’effet d’un buffet de paquebot de croisière. Il y a de l’aguardiente aussi, capable de dissoudre n’importe quel minerai accumulé dans les gosiers et les bronches, un authentique article de laboratoire dont  résulte un divin précipité, on respire, l’haleine redevient végétale. On trinque à la gloire du monde des arts qui est venu là pour le peuple des galeries. Qui sait la raison de cette invitation? Y avait-il une grogne ouvrière? Pourquoi cette prestation foraine dans cette arène géologique?  La philanthropie ici n’est pas au tableau de service des tâches journalières, la compagnie minière ne connaît pas le sens du mot, alors qu’elle maîtrise à fond celui de profits car enfin, à quoi bon perdre son temps à l’étude d’expressions aux étymologies savantes.

Maquillages

 Sur le flanc de la butte, à même le sol, parfois sur des planches, des rangs de mineurs se répartissent en silence. Ce cirque est comme une apparition, un genre de miracle. Seuls quelques mineurs ont entrevu des images de clowns, d’éléphants en costume sur des calendriers des postes. Et déjà là c’était un miracle.

Les mineurs ont des visages ternis par la poussière des terres colportées inlassablement pour faire émerger de l’or. Leurs habits sont d’une teinte unique, délavée par les eaux de filtrage avec quelques taches de couleur de ponchos féminins par endroits, des robes rouges dans cette nuit dont le ciel ne serait fait que par l’amas de ces corps marqués par une profonde et infinie résignation. La Lune est là dominante, comme sur le montoir du cirque de Barcelone. Elle rappelle tout le monde à l’ordre, elle orchestre l’événement.

Sur la scène, simple surface en terre battue au pied de la butte, le spectacle à commencé après des annonces musicales d’une trompette. L’aire de jeu est illuminée par des phares de travail et dessine au sol un cercle lumineux d’où les acteurs ne sortent pas pour être bien vu certes, mais aussi pour rester dans ce cône de lumière où ils espèrent récupérer un reliquat du rayonnement pour se réchauffer. Les clowns en redonnent car c’est cela qu’il fallait au dire des matons de la compagnie minière, faire rire cette fois-ci au moins.

Dans des costumes avachis par le voyage et derrière des maquillages fatigués, Pedro et son Augusto percent la nuit à coup de  farces. Devant, les spectateurs sur les éboulis, ce sont des visages de jeunes gens dissimulés par ces masques terreux qui leur rajoutent tant d’années,   pour célébrer une vie très courte. Cruel face-à-face de maquillages. Ceux, sur cette espèce de scène qui s’essayent à  dessiner de la vie, les autres juste devant faits pour tout gommer . Lumière de rires  d’un coté, pénombre  minérale de l’autre.

Ainsi le spectacle commence tout d’abord dans le silence qu’impose la curiosité ou l’interrogation réciproque entre ces saltimbanques et des rochers. Puis un gag simple et bruyant secoue la torpeur et soudainement par endroits quelques rires giclent. La butte s’ouvre peu à peu sous la poussée des émotions, les sourires s’affichent dans ces gradins de pierre. Et de surprise en surprise, au fil de numéros, des avalanches de rires. Le meilleur spectacle, d’anthologie dit-on, du cirque de Barcelone présent toute l’année à l’Apollo.

cirque 2

Le public de cette nuit est littéralement renversé et s’échappe quelques instants en courant par un tunnel , mais celui là avec une lumière au bout, un soleil, du jamais vu. Les farces et la salle ne font plus qu’un, tous subjugués par l’urgence de vivre quelques moments, juste vivre, ne rien laisser passer. La colline vibre à chaque envolée d’éclats joyeux comme pour se débarrasser de sa géologie millénaire et accepter le temps du sang un exploit tellurique.

Le Cachet

Le spectacle fut payé en Or ! Des sacs en toile lourds de métal que l’homme au regard aiguisé et aux chaussures pointues posa sur l’aile du camion de Pedro. Le poids et le bruit des pépites roulant l’une sur l’autre, autant de sensations qui garantissent que le montant du cachet y est. L’échange des regards et de la poignée de mains sont des signatures dûment authentiques. Ces sacs denses ont la faculté de démultiplier les rêves d’éternelle prospérité. C’est cela l’or, de l’infini, la négation du temps qui passe.

Après un joyeux retour du cirque vers Lima, la descente facile offrant aux camions une occasion de participer à la liesse, l’or fût dépensé en quelques jours sans retenue ni comptabilité, dépensé comme s’il était précisément inépuisable. Quand on tient une pépite dans le creux de la main c’est pour toujours. De l’or ! Fondant avec autant de fièvre qu’il n’en fallu pour le mériter. L’or, apparition d’une figure lugubre et éphémère, éloignant nos peurs les plus profondes le temps de ce rêve.

Aureliano Buendia et Melquiades.

De l’or, n’est ce pas ce que cherchait Buendia avec les aimants que le gitan Melquiades lui avait vendu ?[iii]  Ces deux aimants, juste des morceaux de métal démontés d’une dynamo. Mais deux morceaux de fer attirent du métal et l’or en est un, aimants capables de porter l’espoir des ignorants. Car où est l’article scientifique qui décrète qu’ils sont absolument inopérants pour en trouver?

Le métal jaune? Les aimants de la dynamo sacralisés maintenant, accompagneront Buendia dans un rêve éthéré où ses yeux distinguent au loin le portail d’un paradis aurifère, là où se solde la dette des souffrances terrestres.

Les forains, avec leur lunette optique, le prisme qui transperce le secret de la lumière, et même le bloc de glace dans sa boîte en bois qui pour quelques réaux de rançon devient le temps d’un regard furtif le plus gros diamant du monde. Vite, il faut refermer le couvercle pour éviter que le  bloc de glace ne fonde  mais aussi parce que le spectateur a la certitude que la brièveté de sa vision est à l’aune d’un grand privilège. N’a-t-il pas vu un énorme diamant pendant une seconde ? Une apparition furtive est bien plus vraie qu’une observation profonde. Pour l’âme s’entend.

L’art forain est en action. Tout est vrai, tous le croient.

Que d’artistes !

A suivre


[i]           J’ai eu un oncle membre d’une famille possédant un cirque à Barcelone et de ce fait tout à la fois acrobate, clown et bien sûr mécanicien, menuisier et acteur de tous les faits et gestes de la vie d’un cirque de cette époque avant et après la guerre civile. Sa femme et ses deux enfants, mes cousins, tous de la balle. Cela m’a permis de passer souvent de joyeuses vacances dans la banlieue de Barcelone tant ils connaissaient de choses distrayantes et inhabituelles. Ils étaient  d’une bonne école.

L’oncle racontait souvent des histoires de ses tournées. Des  cocasses parfois, comme l’animation de mariages gitans qui se terminaient au couteau parce que la mariée n’était pas vierge au dire d’un oncle éloigné saoul.

Le cirque partait en tournée en Amérique latine, Argentine, Colombie et surtout le Pérou pour cause idiomatique. Un agent d’une société minière leur achète un spectacle pour distraire les ouvriers d’une mine d’or à cent cinquante kilomètres de Lima.

 

[ii]           «Avenue  Mariano Cornejo à cinq heures, vous tous et sans faute les clowns»[ii].

 

[iii]          Cent ans de Solitude de Gabriel Garcia Marquez.

La visite périodique des Gitans  à Macondo village colombien, dont Melquiades leur chef, permet de comprendre tous les ressorts de la fascination, du  besoin profond de se situer entre la naissance et la mort. C’est un préambule fantastique au roman qui pour une grande part tisse les fils généalogiques de vies. Entre les gitans et les villageois une relation s’établit, identique à celle qui existe entre le travail d’un artiste inventant la forme étrangère, c’est-à-dire nouvelle, celle qui résulte du monde du désir.

Cet article Maquillages dans les Andes, 1940 est apparu en premier sur Germinal Rebull.

]]>
https://germinal.rebull.fr/maquillages-dans-les-andes-1940/feed/ 5